Vertiges
En dépit du quotidien répétitif et abrutissant, nous oublions tendrement qu’il existe dans notre réalité trois temps différents : celui des enfants, celui des adolescents et celui des adultes. Vertiges se charge de faire l’apologie de ce temps adolescent, sombre, plein d’erreurs insouciantes, parfois irréparables.
Clara est une jeune femme effrontée mais taciturne. Le renoncement se lit sur son visage, des traits fatigués dessinent son désaccord avec l’existence. Mais elle est là, entourée, essayant de vivre et de résister à l’ennui. Elle survit, dans un monde qui la trahit et qui ne lui correspond pas. Dans une réalité pleine d’injustices, de jalousie et de rumeurs ; une réalité vertigineuse. Clara subit les vertiges de la vie, parfois avec volonté, souvent dans l’abdication. D’abord, celui de l’adolescence, quand arrive cette irrésistible envie de défier une quelconque autorité, celle qui désire ardemment se confronter à la hiérarchie.
Ensuite, celui de la musique, qui procure un plaisir incompréhensible, qui nous dépose ailleurs tout en nous clouant à la réalité. Cette force qui nous fait croire à des vérités éternelles. Clara s’en grise, s’enivre de ce rap sincère, de ces paroles rapides et précises, de ces effusions brutes et bestiales.
Le vertige de la trahison, quand une amie oublie le contrat tacite qui la relie à soi, quand elle met de côté sa loyauté pour satisfaire ses envies, et que son regard cherche le pardon, mais en vain. Ce vertige qui conduit à celui de la solitude, de l’enfermement en soi, du refus de l’autre. Plans serrés, mises au point, lenteur et lieux vides, autant d’outils pour la montrer et pour la ressentir. Quand cette solitude s’accepte, l’absence et l’incompréhension s’immisce vertigineusement dans la perception que nous avons de la réalité. Elles deviennent une manière d’être qui nous mène irrémédiablement vers une dépréciation de l’existence. Ce qui pourrait conduire au dernier vertige, celui de la mort. Mais elle n’apparaîtra pas là où nous l’attendions.
Le film se contemple d’abord et se vit ensuite. La lenteur installe le décor, les personnages prennent doucement place, pour s’éparpiller rapidement autour de Clara. Ce personnage, interprété avec une extrême justesse par Sophie Breyer, nous fascine, puis nous interloque. Ce court métrage se regarde d’abord passivement, puis s’analyse, pour enfin vous prendre subitement les tripes et vous les tordre, jusqu’à en éprouver une douleur atroce, semblable à celle de son héroïne. Vous êtes alors pris d’un vertige que vous ne pressentiez pas, qui vous laisse au bord d’un gouffre, seul. Rassurez-vous, vous n’y tomberez pas. Vous resterez au-dessus, sans doute dans l’incompréhension et l’incertitude.