critique &
création culturelle
Babyteeth
la vie en héritage

Tout commence comme une romance adolescente. Milla rencontre Moses sur un quai de gare. Il est agité, turbulent, roublard ; tout en elle semble sage jusqu'à son col d'uniforme.

Babyteeth est le premier film de l'Australienne Shannon Murphy pour le cinéma, après des débuts à la télévision ( Sisters , Rake ) . Le film est  présenté en chapitres par des titres simples sortis du quotidien.

On comprend assez vite qu'en dehors des problèmes familiaux qui émaillent les premières scènes comme le manque de communication et de compréhension des membres, le film nous parlera de la mort. Celle-ci pèse sans être nommée dans le quotidien de cette famille qui implose de silence, d'habitudes, de lassitude… et d'attente : Milla souffre de la leucémie et chaque jour est une chaise musicale.

Le propos du film est pourtant une ode à la vie et rappelle qu'elle n'est jamais due. Milla se sait malade et regarde cette fin menaçante droit dans les yeux, bien décidée à ne pas gâcher le temps qui lui reste à regretter les années qu'elle n'aura pas. Elle tombe amoureuse, va danser, joue du violon. Par sa résistance à la détresse, elle témoigne que notre finitude à tous n'est pas une fatalité mais un cadeau. Son message tout au long du film est de ne pas gâcher la vie dans la tristesse, le rejet, le mensonge et l'illusion car ce sont eux les véritables maux qui tuent peu à peu. Ça semble naïf mais c'est dans cette simplicité que le propos tire toute sa puissance. Paradoxalement, malgré les limites que lui imposent son corps lourd et fatigué, Milla est plus vivante que le reste de son entourage miné par la dépendance. Elle est au présent quand on s'entête à regarder derrière ou à angoisser pour le lendemain.

Le film est dur par nature mais tendre dans sa forme par ses couleurs et ses chansons, par la fluidité des scènes quotidiennes banales qui défilent comme un album photo ou une cassette de vacances. Mais également par sa façon de prendre le temps et de s'appesantir sur les choses : les corps, les tatouages, les nuages, l'envol brusque et maladroit d'oiseaux au petit matin. Il est même parfois tellement enfoui dans l’intime des protagonistes qu’il peut sembler voyeuriste à certains égard et presque sociologique: il nous pousse à les déshabiller, à détricoter les personnages pour tenter de les comprendre.

Babyteeth n’est pas innovant par son sujet, il nous rappelle Nos étoiles contraires. Si j’ai trouvé une chose dommage c’est qu’il aurait pu davantage s’attarder sur le ressenti des parents à l’instar du documentaire Et je choisis de vivre qui parle de l’absence de mots pour désigner les parents endeuillé. Finalement Babyteeth est dans son essence, un film sur les gens qui restent. Sous des apparences de films pour adolescents, c’est une œuvre profonde et mature sur la vie d’après: après la perte, après le deuil.

Les acteurs sont troublants d'authenticité:  la mère  (Essie Davis)  contrôlante, effrayée par son impuissance ; le père (Ben Mendels) résigné et enfermé en lui-même ; Moses  (Toby Wallace) , le petit-ami paumé et ce monde qui se cherche comme des étoiles égarées, rattachées par leur amour de Milla (Eliza Scanlen). Tout n’est pas mis en œuvre pour qu’on les aime nécessairement, tel ne semble pas être l’objectif de Murphy, en revanche, on est poussés à l’empathie envers ces êtres dépourvus, menacés par la fatalité. Le coup de maître de l’équipe du film c’est d’avoir su transmettre au plus près de la réalité, le dénuement.

À la fin, on veut juste sentir entrer profondément en nous l'air froid d'octobre et répéter pour soi, comme pour en découvrir le sens caché et en détachant bien les labiales : v i v r e.

Même rédacteur·ice :

Babyteeth

Réalisé par Shannon Murphy

Avec Eliza Scanlen, Ben Mendelsohn, Toby Wallace, Essie Davis

Australie, 2019

120 mn