critique &
création culturelle
Le Ciel flamand
Entretien avecWim Willaert

Pour fêter la sortie du dernier né de Peter Monsaert, je suis allée en interviewer un des acteurs, Wim Willaert, qui retrouve le réalisateur de Offline pour une deuxième collaboration toujours aussi fructueuse : le Ciel flamand .

Dans la grisaille de la Flandre occidentale, à l’endroit où le flamand se teinte de français, à une frontière intérieure de Schengen, vivote un bordel familial, malgré les clients violents, mourants, racistes et pédophiles. Trois générations de femmes y ont leurs existences liées. Au milieu, Sylvie (Sara Vertongen), quadragénaire ferme et froide qui tient d’une main de fer le bordel créé par ses parents, où sa mère travaille encore, où sa fille s’aventure plus que de raison. Le jour de ses six ans, la petite vie d’Éline va basculer irrémédiablement à cause d’une vilaine rencontre dans la maison close. Commencera un long chemin de coupable guérison pour sa maman et son « oncle Dirk » (Wim Willaert), vers un horizon qui reste ouvert.

Le deuxième long métrage de Peter Monsaert s’est déjà fait pas mal remarquer, collectionnant les festivals, à l’instar de son prédécesseur Offline. Pour cette nouvelle tranche de vie fleurant bon le réalisme social, le réalisateur flamand retrouve Wim Willaert, à qui il avait déjà confié le personnage principal de son premier film, lui offrant cette fois un rôle à l’opposé de ce qu’il a déjà joué, désireux de faire éclater toute la palette de jeu de son ami. Désireux aussi d’affronter une de ses pires craintes : l’agression d’une petite fille, lui qui est père de deux jumelles. Le Ciel flamand est donc un ciel lourd qui assombrit l’existence déjà pas rose de ses protagonistes, de ce couple qui n’en est plus un, de ce père inconnu qui se transforme en oncle, de ce milieu dangereux où l’on achète de la tendresse comme des petits pains, le désespoir vindicatif en plus. C’est cru et réel. C’est documenté, aime à rappeler Peter Monsaert.

Petit entretien en passant avec l’homme aux talents multiples, Wim Willaert, également musicien de son état, qui joue de l’accordéon comme d’une guitare électrique, annonce-t-il d’entrée de jeu…

Tu fais quoi alors avec ton accordéon ?

Wim Willaert : J’ai joué pendant quinze ans un jazz de fou dans un big band, Fles (Flat Earth Society) et j’ai fait le tour du monde avec ces musiciens de fou. Et puis, j’ai joué dans un groupe de rock aussi. Et maintenant, je fais encore de la musique, je voudrais encore faire une musique pour un film. J’ai des petits projets et je m’amuse à la maison.

Alors, c’est toi qui composerais tout ?

Oui, mais avec des professionnels…

Et sinon, avec le piano, tu a eu une formation classique ?

Quand j’étais petit enfant, j’ai suivi les cours de solfège, de musique classique. Mais après quatre ans de piano, j’avais le niveau de deux ans. Puis, ils m’ont jeté. La chose drôle, c’est que j’ai commencé des cours de théâtre dans la même école. Et quand je suis devenu un peu connu, ils m’ont demandé de venir à l’école de musique pour faire un petit concert et là j’ai pris une sorte de vengeance. J’ai demandé un piano et puis j’ai demandé de me bander les yeux et j’ai dit : « Et maintenant, je vais vous faire entendre ce que je n’ai pas appris dans cette école » et j’ai joué avec les poings. Mais je fais de la jolie musique avec les poings.

Si c’était beau, c’est le principal… Donc, tu as commencé le théâtre après le piano, toujours dans une structure classique.

Oui mais, pour moi, c’était différent. Moi, je dis toujours que je suis né avec un grand handicap et j’ai de la chance d’avoir trouvé une place dans la société malgré ce handicap, où je peux être heureux, libre, moi-même. J’ai vraiment de la chance. Ce n’étaient pas des choix en toute conscience. J’étais toujours anarchiste. Je ne supporte pas que quelqu’un me dise quoi faire, d’avoir un chef. Sauf quand il y a du respect naturel, alors on peut me demander tout. Peter, il peut me demander tout mais un chef, non. J’étais un petit garçon très embêtant. Mais j’ai trouvé mon chemin. La décision de prendre des cours de théâtre n’est pas venue de moi tout de suite. En fait, j’ai fait deux années de droit à Gand et un copain m’a dit : « Qu’est-ce que tu fais ici ? Tu dois aller à l’école de théâtre et tu ne dois plus étudier. » Et j’ai fait mon école de théâtre. Je n’ai pas rêvé d’être comédien. Nul je savais du théâtre.

« Mon visage devait être un masque et ça, c’était dur à jouer parce que je bougeais mon visage tout le temps et Peter me faisait refaire les scènes parce que j’avais bougé. »

Et le droit, ça ne t’intéressait pas du tout ?

Je suis bien content d’avoir fait ces deux ans mais non, je suis content d’être là où je suis.

Même si ce n’était pas une vocation.

Non. Dans ma classe, on était quinze ou quelque chose comme ça. Et on était deux ou trois qui n’apprenaient pas des choses nouvelles mais se contentaient de faire ce qu’ils étaient déjà. Et ça, c’est très intéressant. Les autres, ils apprenaient pour la première fois. Et ce n’est pas honnête. Les gens bossent, bossent, bossent et les professeurs disent « c’est nul » alors que mon copain et moi on fait rien cinq minutes devant les autres, puis on sait déjà plus ce qu’il faut faire, on invente et là le professeur trouve ça fantastique. Avoir du talent, c’est malhonnête. Mais c’était comme ça.

Je n’ai pas vu Offline , le premier film que tu as fait avec Peter Monsaert, mais c’était très différent comme rôle. Et d’ailleurs, le rôle que tu joues ici dans le Ciel flamand est très particulier, tu n’as sans doute jamais joué un tel personnage.

Non.

Là, j’imagine que tu as dû bosser.

Oui mais, comment dire ? J’ai beaucoup de confiance en mon inconscience. La préparation, c’est visiter les lieux où on va tourner, les sentir, on me met des vêtements qui ne sont pas les miens, je dois apprendre à conduire le bus, je croise des types qui ont le même costume que moi, ce n’est pas que je me dis je vais le jouer, c’est juste que je sens tout ça. Et puis, le premier jour du tournage, j’ai des vêtements qui sont pas les miens, je fais un boulot qui n’est pas le mien, les mots ne sont pas les miens. Ce sont toutes des choses que je ne dois pas jouer, je fais la vie de ce mec.

Qui est très particulière.

Oui mais je ne joue pas ce mec. Parfois quand on me dit que je suis comédien, je le prends mal, parce que je ne joue pas, je le suis. J’ai un bon copain qui est psychiatre et parfois on a des discussions qui sont fantastiques, sauf que lui, il a fait des études analytiques ; il sait parler de Jung, de Freud, de tout le bazar. Moi, en fait, je fais une étude que pas un homme de science peut faire de l’être humain, je vis ces vies.

Wim Willaert… sans barbe.

Et alors comment décrirais-tu ton personnage dans le film ?

J’ai de la compassion pour lui. Son propre visage, c’est son masque. Quand j’ai lu le scénario pour la première fois, j’ai demandé à Peter s’il avait une barbe ou des lunettes, s’il avait un masque. Peter répondait « non »… Puis on s’est demandé ce qu’on pouvait faire à ce propos et j’ai décidé de me raser, ce que je n’ai jamais fait pour un film. Tout était clair mais mon visage devait être un masque et ça, c’était dur à jouer parce que je bougeais mon visage tout le temps et Peter me faisait refaire les scènes parce que j’avais bougé.

Ça devait être assez particulier de non jouer une relation filiale avec la fille dont tu sais être le père mais qui t’appelle « oncle ».

Oui mais ça, c’était le jeu. Inconsciemment, c’est un jeu qu’on fait à côté du tournage. Il y a des photos de tournage avec Esra (qui joue Éline, NDLR) sur mes genoux et en les voyant je me dis que mes gestes sont maladroits. Alors que dans ma vie privée et familiale je suis entouré d’enfants à qui je donne habituellement des câlins. À Esra aussi, maintenant quand je la vois, je lui donne des câlins. Mais pendant le tournage, il y avait beaucoup de distance, je n’étais pas son copain, inconsciemment je refusais de jouer avec elle. C’est comme avec Sara, pendant le tournage, on ne s’aimait pas. En fait, on s’est vraiment rencontrés après la première vision du film. Avant, c’était vraiment constipé.

Dans une interview de Peter Monsaert, il dit que tu n’irais pas boire un verre avec Dirk.

Non ! Il n’est pas sympa. T’as pas vu Offline , j’y jouais aussi quelqu’un qui avait fait des conneries, mais avec lui j’aurais bien été boire quelques verres parce qu’avec lui on peut rigoler.

Oui, Dirk est plus coincé…

La constipation totale.

Sara Vertongen travaille pendant 112 minutes au Ciel flamand.

Point de vue préparation, comme ça c’est passé ?

Moi, je suis très fort sans préparation. Par contre, choisir les costumes est très important, comme ça tu sens. Mais pour vraiment faire la répétition des scènes, connaître tous les mots, je ne suis pas fan. J’ai lu tout le scénario, hein. Le soir avant, je lis encore la scène et je comprends mais je ne vais jamais apprendre par cœur. Le jour même, pendant qu’on fait le maquillage, je vais demander à mon collègue de répéter tel ou tel dialogue, mais c’est tout.

Il faut quand même une sacrée mémoire ?

C’est drôle, hein, ce sont des techniques. Quand dans le texte tu me demandes quelle heure il est, je sais que je dois dire « Cinq heures ». Pour le reste, je ne dois pas savoir quand tu vas me poser cette question, ni où… Le dialogue, c’est un qui provoque et une réponse. Parfois, si j’ai toutes les actions, je dois apprendre moi-même un tout petit peu. Mais normalement, je connais l’histoire, la logique, quelqu’un me dit quelque chose, je réagis.

Peter Monsaert n’était pas trop près de son scénario ? Parce qu’il l’a écrit tout seul.

Oui, et c’est bien plus fort qu’ Offline . Grand chapeau pour Peter. Je suis impressionné et énormément fier.e

Après Offline , il a dit qu’il voulait retourner avec toi, c’est gratifiant pour un acteur…

Comme on a travaillé sur Offline , c’est une amitié lente qui s’est mise en route, avec une grande profondeur, tu bosses comme des amis, mais c’est fragile, et en même temps il y a une énorme confiance entre nous.

Et le prochain de Peter Monsaert ?

Je ne sais pas. Si ce n’est pas le prochain, c’est peut-être le suivant, et sinon, y aura d’autres projets. Moi, quand on me propose un scénario, je refuse si je sens que ce n’est pas pour moi et j’essaie de trouver l’acteur pour qui le rôle est taillé.

Tu as beaucoup de propositions ?

Ça va. Parce que moi je ne travaille pas spécialement avec un agent et les gens qui me veulent me trouvent. Ça marche encore. Pour l’année prochaine, j’ai mon boulot. Mais pour l’année d’après je n’ai rien. Donc j’espère que je fais mon boulot si bien que les gens me remarquent et qu’ils se disent toi tu dois être dans mon film.

On espère aussi.

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Même rédacteur·ice :

Le Ciel flamand

Réalisé par Peter Monsaert
Avec Wim Willaert , Sara Vertongen , Esra Vandenbussche , Ingrid De Vos
Belgique , 2016
112 minutes

Sortie en Belgique le 16 novembre 2016.

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