critique &
création culturelle
Lola vers la mer
Quand le changement ne va pas de soi

En toute simplicité, Laurent Micheli raconte la transidentité à travers une relation père-fille violente, cruelle, mais aussi pleine d’espoir : sans verser dans le pathos, Lola vers la mer est un film qui bouscule.

Le cinéma de ces dernières années a montré que représenter des personnages transgenres et leurs parcours ne va pas de soi. Ces récits sont, comme le souligne régulièrement la communauté LGBT+, trop souvent focalisés uniquement sur l’aspect médical de la transition, et les personnages trans se voient incarnés par des acteur·trice·s qui ne le sont pas – ce qui renforce le stéréotype de la personne trans qui n’est, au final, qu’une personne travestie. Ainsi, les controverses sur ces films et séries aux représentations bancales sont nombreuses, même si certaines productions qui présentent des portraits plus nuancés sont à noter – les cas de Pose ou de Sense 8 de Netflix sont notamment à saluer. Lola vers la mer aurait pu passer inaperçu : petite production franco-belge, avec un premier rôle incarné par une jeune actrice encore inconnue du grand public, le film de Laurent Micheli semble assez modeste dans ses ambitions. Il s’agit pourtant d’une oeuvre à la fois juste dans son propos et beau dans son exécution.

Lola vers la mer est un road-movie où la protagoniste, Lola (Mya Bollaers), se voit contrainte, après le décès de sa mère, de côtoyer pendant quelques jours son père (Benoît Magimel) qui l’avait rejetée dès son coming out , la forçant à vivre dans un foyer pour jeunes LGBT+. Le film raconte la violence de leur relation, les blessures qu’engendrent l’exclusion et la lente évolution vers l’acceptation.

La justesse de la représentation

Alors qu’encore aujourd’hui, la représentation de la transidentité est souvent réduite à du voyeurisme par rapport aux différentes transformations de leur corps, l’intrigue ici se centre plutôt sur la thématique de l’acceptation. Comme l’affirme lui-même Micheli : « Avec ce film j’ai voulu mettre la société face à ses responsabilités. Si elles sont bien accompagnées, les personnes trans vont bien. C’est important de le dire. J’ai filmé Lola sans voyeurisme ni fausse pudeur pour ne pas invisibiliser non plus son corps 1 Finalement, la « transition » ne s’applique pas tant au corps mais bien à la perception de la société. C’est d’ailleurs le propos du film : comment Lola peut-elle vivre pleinement en tant que femme si son père ne la perçoit pas comme telle ?

Le film réussit avec brio, par ailleurs, à représenter la transphobie – de son père et des institutions notamment –, tout en n’étant pas lui-même transphobe : toutes les micro-agressions que subit Lola, le·a spectateur·trice les vit avec elle, se révolte contre celles-ci avec elle.

La force de ses acteur·trice·s

On retrouve dans ce long-métrage une rencontre étonnante entre la jeune Mya Bollaers, encore méconnue, et Benoît Magimel. Malgré les expériences radicalement différentes des deux têtes d’affiche, le duo reste convaincant et très touchant. Bien entendu, personne d’autre qu’une jeune femme elle-même transgenre ne pouvait mieux incarner Lola et Mya Bollaers relève le défi avec brio. Elle a d’ailleurs remporté le Magritte du meilleur espoir féminin pour ce rôle. Benoît Magimel, en parallèle, est très émouvant dans ce rôle de père torturé entre la mort de son épouse, le désir de renouer avec sa fille et les préjugés dont il n’arrive pas à se défaire.

Ce film est une ode à l’espoir, pour les protagonistes comme pour la société dans son ensemble, car, même s’il est globalement sombre, il laisse la place à de petits moments beaux et suspendus, qui nous font espérer un futur plus apaisé. Si « la mer » est la destination du long métrage, celui-ci ouvre la porte à de nouvelles aspirations.

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Lola vers la mer

Réalisé par Laurent Micheli
Avec Mya Bollaers , Benoît Magimel , Els Deceukelier
Belgique, France, 2019
90 minutes