critique &
création culturelle
Piccolo Corpo de Laura Samani
Le pèlerinage d’une mère en deuil

Récompensé dans de nombreux festivals, Piccolo Corpo est le premier long-métrage de Laura Samani. La réalisatrice italienne a tenu à y faire découvrir les paysages variés de son Frioul natal et les traditions et les mœurs qui y sont ancrés.

Le Frioul-Vénétie Julienne, au début des années 1900. Enceinte, Agata (Celeste Cescutti) s’avance vers la mer,  cachée sous un voile blanc et entourée d’un chœur de femmes. Ce rituel est une tradition commune pour les futures mères du village : il sert à bénir l’enfant pour qu’il vienne au monde sans encombre.

Malheureusement, Agata accouche d’une fille morte-née. Son mari n’attend pas son accord et enterre le corps de l’enfant dans une petite boîte dans la forêt. Or pour sauver sa fille des Limbes, où errent les enfants morts sans baptême, Agata est prête à tout. Elle décide de partir à la recherche d’un « sanctuaire du souffle », qui permettrait à son bébé de pousser un unique premier et dernier souffle, le temps d’être baptisée et ainsi sauvée.

Seule, Agata commence cette quête vers le Nord. Sur son chemin, elle rencontre un vagabond mystérieux du nom de Lynx (Ondina Quadri), qui lui propose de l’accompagner. Au lieu de se méfier, elle choisit de le suivre, ce qui l’entraîne dans une série de péripéties face auxquelles elle devra redoubler de force.

Malgré une intrigue d’apparence un peu simplette, la cinéaste Laura Samani innove dans son premier long métrage .1 Désireuse de présenter sa région de la manière la plus authentique possible, elle recrute directement les personnages secondaires sur le terrain. Ainsi, les figurants parlant dans leurs dialectes sont des habitants des villages et non des professionnels. En effet, dans le film, l’italien a été entièrement mis de côté au profit des dialectes locaux. Au fur et à mesure du voyage d’Agata, nous entendons du frioulan, du vénitien, ou encore du slovène. Ce choix d’incorporer ces dialectes donne une véritable plus-value au film. La pluralité des langues ancre l’histoire dans l’espace, mais démontre aussi aux spectateurs la richesse linguistique de la botte.

Au-delà de cet aspect linguistique, la réalisatrice met l’accent sur les paysages des Alpes italiennes. Agata passe par tout type de décor pour atteindre le sanctuaire : mer, forêts, mines, montagnes enneigées… La caméra se concentre sur la beauté et la diversité des villages et encourage la contemplation. Aucune musique n’a été ajoutée au montage et les dialogues restent limités, donnant ainsi une impression de silence et d’observation de la nature.

Ainsi, le ton du film est plutôt mélancolique . Les plans ont été tournés en hiver, à la lumière naturelle. Ce silence constant, couplé à la quête d’Agata, contribue à transmettre une atmosphère lourde. La mère endeuillée n’exprime jamais par la parole son désarroi. Au contraire, elle garde l’objectif de sa quête secret pendant une bonne partie du film. De temps à autre, elle fait part de ses réflexions à Lynx, son partenaire de voyage : « Sans nom, c’est comme si tu n’existais pas ». Elle n’hésite pas à se battre pour aller jusqu’au bout de son objectif, même lorsque son corps est trop affaibli pour avancer, ou lorsque des obstacles se dressent sur son chemin. Sa combativité démontre tout l’attachement qu’elle porte à sa fille, avec qui elle a développé une relation forte durant les neuf mois passés dans son ventre.

« Sans nom, c’est comme si tu n’existais pas »

On pourrait croire qu’une femme qui entame seule un pèlerinage pour son enfant est une marque de modernité, notamment pour l’époque. Néanmoins, la réalisatrice italienne a eu l’idée de ce long-métrage après avoir entendu parler de l’existence de ces sanctuaires de souffle dans le nord de l’Italie. Des hommes et des femmes, auparavant, ont donc effectué le même parcours qu’Agata. En vérité, on recense des sanctuaires dans plusieurs pays européens . Ils n'étaient donc pas propres à l'Italie, mais issus de la tradition catholique. Il existe peu d'informations à ce propos, toutefois, ces temples auraient existé du XIIIe siècle jusqu'à la Première Guerre mondiale. Là où la force de volonté et la désobéissance d’Agata face à son rôle de femme docile sont mises en avant dans le film, le rendant plus actuel, l'objet de la quête l'est moins. Piccolo Corpo oscille entre tradition et modernité. L'exemple principal n'est autre que le personnage de Lynx, que j’ai beaucoup apprécié.

Mystérieux, on ne comprend pas ce qui lui passe par la tête, ni même les raisons qui le poussent à agir. Son nom n’est pas réellement le sien, juste un emprunt. Finalement, ce n’est que vers la fin que l’on en apprend plus sur son identité. Attention, spoiler : présenté jusqu’alors comme un garçon, ses retrouvailles avec sa mère laissent sous-entendre que ce n’est pas son genre attribué à la naissance. Elle genre Lynx au féminin, pendant que son père affirme son refus catégorique de revoir son enfant. On imagine que son identité est l’une des raisons pour sa fuite et que c’est un garçon transgenre, voire une personne non-binaire. Du moins, ce n’est qu’une supposition, car cette théorie n’est jamais confirmée ni infirmée. D’une certaine façon, l’on pourrait dire qu’il s’agit d’une preuve de modernité. Or, en ce faisant, Laura Samani montre que les questions liées à la transidentité et à la fluidité de genre sont loin d’être uniquement actuelles.

Il s’agissait probablement de l’intention de la créatrice de semer le doute dans la tête des spectateurs ; de les laisser dresser des parallèles entre l’enfant qui naît sans nom et le personnage qui rejette celui qu’on lui a attribué à la naissance. Toutefois, ces interrogations laissent une sensation amère d’inachevé… voire de maladresse. En voulant trop laisser planer une part de mystère, le développement des personnages en a pâti. C’est notamment le cas pour Lynx. Au début, on s’interroge sur son rôle, sur son identité, son histoire, sans que les questions ne soient répondues à la fin du film. On retrouve le même problème pour Agata, qu’on ne voit pas évoluer. On ne connaît pas son histoire, on n’apprend rien sur elle. L’attention est portée sur son deuil, ou plutôt sur sa quête, mais au-delà de ça, le manque d’approfondissement ne m’a pas permis de m’y attacher. Certes, le deuil et l’identité sont des thèmes universels. L’actrice Celeste Cescutti, qui débutait sur le grand écran avec ce rôle, a réussi avec brio l’interprétation de son personnage. Le manque d’expressions sur son visage, mis à part la tristesse, révèle combien Agata est coincée dans son deuil.  Malgré tout, approfondir l’histoire des personnages aurait pu être un bon apport à l’histoire.

Si Piccolo Corpo convainc par son esthétique visuelle et son immersion dans la vie des villageois frioulans, l’absence d’évolution des personnages et les questions restées sans réponse nous laissent parfois à distance.

Même rédacteur·ice :

Piccolo Corpo

Un film de Laura Samani
Avec Celeste Cescutti, Ondina Quadri
Italie, 2021
89 minutes