critique &
création culturelle
Pour une analyse subjective
des films Disney, épisode 2 : La Petite Sirène

L’idée est simple : regarder des films Disney et se laisser submerger par l’univers mais… en gardant l’esprit vif, en relevant ce qui « cloche », ce qui pousse à la réflexion et à la critique. Entre sexisme et clichés, La Petite Sirène fait polémique.

Dans le cadre de cette deuxième analyse, j’ai choisi d’apporter un regard critique sur le dessin animé La Petite Sirène , sorti en 1989, 36 e long-métrage et 28 e «classique » d’animation des studios Disney. Petite, c’était mon film préféré pour bien des raisons. La fougue et le côté rebelle d’Ariel, sa belle chevelure rouge, le charmant prince Éric, etc. Je l’ai donc revu, tout enjouée, il y a quelques jours. Résultat : je suis restée sur ma faim, avec un sentiment mitigé. Plusieurs éléments m’ont interpellée. Explications.

Une jeune fille qui tombe éperdument amoureuse d’un inconnu

Le film raconte l'histoire d’Ariel, princesse sirène de 16 ans, fille du roi Triton qui règne sur Atlantica. La jeune fille a toujours été fascinée par le monde des humains qui pourtant lui est interdit. En cachette, avec son ami Polochon le poisson, elle collectionne les objets égarés en mer par les hommes. Un soir, alors qu’elle passait la tête hors de l’eau, elle entrevoit sur son navire le prince Éric, dont elle tombe éperdument amoureuse. Elle veut le rencontrer et l’épouser, ce qui la conduit à conclure un accord avec Ursula, la sorcière des mers, pour devenir humaine et être avec lui.

Le scénario du dessin animé suscite déjà la réaction. Une jeune fille, qui ne sait rien du monde des humains et du monde extérieur, rêve d’épouser un étranger qu’elle a aperçu un instant, le temps d’un soupir ? Ariel est prête à quitter sa famille, ses amis, son confort et tout ce qu’elle connait pour se jeter dans les bras du premier bel inconnu qu’elle épie… Une situation certes romantique mais bien loin de notre réalité où l’on préfère invoquer le « on ne tombe pas amoureux au premier regard ».

À cet égard, mon interprétation et mes mots sont plus tempérés que ceux de Slate.fr , mais je ne peux m’empêcher de les citer pour éclairer mon point de vue (au fond, c’est ce que j’ai pensé très fort mais sans le dire d’emblée, à vif et abruptement) :

Le bien et le mal, le beau et le moche

Je mets également un point d’honneur à m’attarder sur les personnages et sur leurs caractéristiques – une fois de plus – stéréotypées. Même cas de figure que dans Kuzco, l’empereur mégalo : les protagonistes méchants ont des traits de caractère négatifs, des défauts indissociables de leur personne. Ils sont aux antipodes des canons de beauté classiques. Ursula, la méchante pieuvre a une physionomie dure et épaisse. Vieille, tassée et repoussante, elle propose un contraste avec Ariel, jeune, fraîche et svelte. Les deux murènes qui la servent sont tout aussi vicieuses.

Éric est séduisant, beau garçon, musclé, téméraire et ambitieux. Ce qui plait évidemment à Ariel, qui elle, de son côté, le fera craquer du fait de sa délicieuse voix et de son physique. Force est de constater que la petite sirène présente toutes les qualités de la féminité traditionnelle : douce, belle, gentille, pleine de légèreté, etc. Aussi, la dichotomie entre le bien et le mal est-elle patente dans le film. Je ne m’attarderai pas sur cet aspect, car je l’ai déjà bien détaillé le dans l’article précédent. Mais l’idée reste la même pour ce dessin animé : gentils et méchants sont stéréotypés et clivés, la beauté mentale et physique déterminant le côté du clivage auquel ils appartiennent.

Un tel constat me permet de tirer une conclusion plus générale, qui s’appliquerait à la plupart des personnages méchants de Disney. Le mal s’incarne via des traits physiques peu valorisants, peu gracieux et s’exprime au travers de défauts, de caractéristiques négatives voire péjoratives qui collent à la peau des personnages. De fait, n’est-ce pas le cas de la méchante belle-mère dans Cendrillon et de ses deux filles, jalouses de leur demi-sœur ? Maléfique de La Belle au bois dormant , au physique diabolique et Cherkan, tigre persécuteur du Livre de la jungle ne se rangent-ils pas aussi du côté des méchants repoussants/effrayants ?

Entre sexisme et patriarcat

La Petite Sirène , comme son nom l’indique, fait la part belle à son personnage éponyme. Ariel y occupe une place centrale. Une femme dans un rôle principal ? Cela ne semble pas surprenant pour un Disney, me direz-vous, et pourtant… Les prises de parole de la jeune sirène sont sporadiques, aussi nombreuses que celles d’autres adjuvants, plus secondaires dans l’histoire. Qui plus est, lorsque Ariel devient humaine, elle échange sa voix contre des jambes. Elle sera donc amenée à rester muette jusqu’aux dernières minutes du film.

On le voit, bien que le scénario se focalise sur le personnage féminin et sur ses faits et gestes, il n’est pas question de valorisation voire de sacralisation de la femme. Au contraire, la position centrale qu’Ariel occupe dans le dessin animé n’est qu’un prétexte pour rappeler le rôle qu’elle doit remplir, aux prises d’un carcan oppressant et désuet de nos jours : celui du patriarcat.

Je m’explique. Loin d’être une féministe intégriste, j’ai trouvé quelques scènes et représentations du film sexistes. La conception de la femme au foyer, bonne épouse et serviable était encore fort présente dans l’imaginaire hollywoodien et, surtout, chez Disney. La sirène n’est autre qu’un exemple d’une représentation sexuée, rétrograde et conservatrice de la femme.

Ainsi, on retrouve de nombreuses expressions – peu valorisantes – qui viennent caractériser Ariel et l’enferment dans son rôle de femme aimante. Par exemple, lorsqu’elle atteint le monde des humains, elle est associée aux expressions de « jeune fille comme il faut », de « jolie convive » et de « femme douce et aimante ». Sébastien, son ami le crabe, lui demandera même, je le cite, de « déployer toutes ses armes de séduction et de faire aller ses cils » pour séduire Éric. Tout ceci entérine cette conception patriarcale de la femme.

Plus encore, si l’on pousse cette interprétation, une scène du dessin animé à ce propos m’a semblé flagrante. Il s’agit du moment où Ariel se brosse les cheveux avec une fourchette qu’elle affectionne tant. Elle trouve cet objet fascinant. Pourtant, la fourchette reste un ustensile prosaïque qui, au fond, semble être là pour lui rappeler sa condition. Même en faisant la belle, Ariel sera amenée à se marier et à s’occuper de son foyer (qui serait symbolisé par l’ustensile de cuisine) et à remplir ce rôle de douce épouse. En se rebellant, Ariel n’a fait que sceller son destin…

Autre indice qui vient renforcer cette idée : le conte original de la Petite Sirène , écrit par Andersen. Dans cette première version, toute une série d’éléments sont analysés comme « féministes ». Il y a également de nombreuses descriptions complexes qui viennent montrer combien la transformation d’une jeune fille en jeune femme peut être source de souffrance. Tous ces aspects sont occultés dans le dessin animé. Disney, à l’inverse, montre la conquête de la féminité comme une aventure joyeuse et excitante. « En supprimant tous les éléments du conte qui permettaient d’en faire une lecture féministe et en remplaçant la mort de l’héroïne par son mariage avec le prince, le studio a donc déformé l’esprit de l’histoire jusqu’à lui faire dire précisément l’inverse de ce qu’elle disait sous la plume d’Andersen. D’une critique du patriarcat, on est passé à une apologie » , indique un article du site Le cinéma est politique .

Un accent créole qui fait polémique

Au-delà de l’esprit patriarche généralisé qui se dégage du film, c’est la voix du personnage de Sébastien qui a suscité la polémique. Certains parlent de racisme, de discrimination . Et pour cause, la voix française du personnage est doublée par le célèbre chanteur créole Henri Salvador – pour ceux qui ne le sauraient pas, c’est lui qui chante « Le Lion est mort ce soir » . Cet accent fait sourciller car le rôle de Sébastien n’a rien de très valorisant :  il est le serviteur et chef d’orchestre du roi Triton, se pliant à toutes les volontés de son souverain – et à celles d’Ariel par la même occasion. C’est également le personnage qui fait le plus rire dans le film.

Personnellement, vu le contexte actuel dans lequel nous vivons, tout peut s’interpréter à tort et à travers comme un acte raciste. Le regard contemporain sur ce film datant des années 80 est donc à nuancer et à tempérer. Je trouvais intéressant de mentionner cette réalité puisque lorsque j’ai visionné le film, dans sa version remasterisée, ce n’était plus la voix du chanteur créole, mais celle d’un autre doubleur, avec un accent beaucoup moins marqué. L’accent si controversé avait été effacé. Ce qui a néanmoins aussi créé la polémique car la première voix avait été davantage appréciée…

Je ne vois pas ce doublage comme une forme de racisme, au contraire, la voix de Sébastien fait tout le personnage et fascine le spectateur. Elle semble avoir plutôt été choisie pour susciter le rire et le divertissement. Sébastien se retrouve dans de nombreuses situations comiques, notamment lorsque le cuisinier essaye de le servir à manger et met sens dessus dessous sa cuisine.

De manière générale, je recommanderais ce film parce qu’il pousse à la réflexion. Il y a une série de réalités que nous n’avions pas perçues lorsque nous regardions le film, enfants. Le sexisme, le patriarcat, le féminisme, le racisme sont autant de réalités sociétales contemporaines qui sont dignes d’être questionnées. Les personnages, eux, restent attachants, Polochon l’ami fidèle d’Ariel fait tout pour l’aider dans son entreprise. L’oiseau Eurêka – qui se veut expert du monde des humains – est un personnage à lui seul et suscite le rire avec sa soi-disant connaissance. Il incarne une critique du savoir et de la science en général. Le film captive tout au long de son déroulement, les péripéties se succèdent et divertissent. La fin est digne des Disney : le bien triomphe du mal, Usula est vaincue. Ariel peut (enfin) épouser Éric, après tout cela ne fait que quelques jours qu’ils se connaissent, mais elle est persuadée que c’est l’homme de sa vie. Happy end.

Même rédacteur·ice :

La Petite Sirène

Réalisé par Ron Clements et John Musker
Avec Jodi Benson , Samuel E. Wright , Rene Auberjonois
États-Unis, 1989
83 minutes