critique &
création culturelle
Âge Tendre de Clémentine Beauvais
une comédie d’apprentissage de la vie

Âge Tendre , dernier roman jeunesse de Clémentine Beauvais, nous plonge dans l’esprit de Valentin, un jeune garçon de 15 ans. À travers son regard, l’auteure propose des réflexions sur la mémoire, le deuil, la séparation, l’amour et l’amitié. Le tout loin des stéréotypes.

La Présidente de la République l’a décrété : chaque étudiant doit effectuer une année de service civique en France, entre sa troisième et sa seconde. Lorsque c’est au tour de Valentin, jeune garçon de 15 ans, ce dernier souhaite pouvoir rester près d’Albi, où il habite. L’idée qu’il puisse travailler dans le domaine de la santé l’effraye car en plus d’être hypocondriaque, il est hypersensible et peu sociable. Les choix de Valentin se portent donc sur un centre culturel situé dans le Sud. Mais pas de chance, ses vœux ne sont pas respectés. Il est envoyé dans le Pas-de-Calais, dans un centre pour personnes âgées atteintes d’Alzheimer, reconstitué pour ressembler à un village des années 1960.

Dans le bus, le matin de son premier jour, un stagiaire lui conseille de parler de ce qui l’intéresse des sixties pour impressionner l’équipe « authenticité et reconstitutions » et l’intégrer. Problème : Valentin ne connaît rien de ces années-là. Pour rire, le garçon lui répond qu’il n’a qu’à parler de Françoise Hardy. C’est pourquoi quand la directrice du centre lui demande quelles sont ses passions, celui-ci répond sans-hésiter « Françoise Hardy », espérant qu’on lui donne des tâches agréables.

Le personnel lui donne alors comme mission d’écrire une lettre à une résidente en se faisant passer pour Françoise Hardy. En effet, Madame Laurel a répondu à un concours de Salut les Copains de 1967 en espérant rencontrer la chanteuse. Évidemment, tous les travailleurs pensaient qu’elle oublierait, mais celle-ci redemande des nouvelles tous les jours. Une tâche plutôt simple à première vue, il lui suffit de dire que la chanteuse ne viendra pas. Mais lorsqu’il écoute pour la première fois Françoise Hardy, il tombe fou amoureux de sa musique et ne peut se résoudre à décevoir la jeune femme. Il décide donc d’annoncer l’inverse : Françoise Hardy viendra ! C’est ainsi que commence la recherche de sosies…

Une fois encore, Clémentine Beauvais fait preuve de créativité avec Âge Tendre . En lisant, je n’avais pas l’impression de me sentir dans une fiction. Pourtant, tout est inventé : « l’unité Mnémosyne », les différents centres pour personnes atteintes d’Alzheimer répartis dans différents coins de la France… Lorsque j’ai fait des recherches sur Google pour en savoir plus sur ces centres, j’ai été plus que surprise de constater que tout sortait de l’imagination de l’auteure. Il va sans dire qu’elle a fait un travail poussé de documentation pour peaufiner son œuvre. Tout au long du roman, nous sommes immergés dans cette reconstitution des années 1960 qui fait croire aux résidents qu’ils sont toujours à cette période. Eh bien, Clémentine Beauvais a réussi à faire de même avec ses lecteurs.

La rédaction du livre est un de ses points forts. Il prend la forme du rapport de stage de Valentin, avec des impressions et des notes rétrospectives pour commenter ses actions passées ou apporter plus de précision à ses professeurs. L’écriture est celle d’un adolescent, ce qui fait que le vocabulaire est adapté à son âge, sans pour autant dépayser le lecteur. À l’aide de tous ces éléments, je me suis sentie complètement investie dans l’histoire de Valentin. Néanmoins, une chose m’a chiffonnée : dans son rapport de stage transmis à ses professeurs, Valentin donne énormément de détails qui n’ont rien à voir avec son expérience professionnelle. Certes, il le justifie en expliquant que ça a son importance car cela fait partie de son service civique, mais lorsqu’il raconte ses conversations ou la vie de sa maître de stage, Sola, je trouve que c’est hors propos.

Par ailleurs, Sola est le personnage que j’ai préféré de toute l’histoire. On découvre d’abord une femme aux manières rustres, qui n’a pas sa langue en poche et qui multiplie les bêtises. Les premières impressions de Valentin sur sa maître de stage sont : « très négatives », expression qu’il utilise souvent dans son rapport. Étant un garçon à fleur de peau, celui-ci ne supporte pas lorsqu’on enfreint les règles ou lorsqu’on le brusque. Or, avec son authenticité, Sola le pousse sans cesse à évoluer, à se surpasser. En comparant le début et la fin, on se rend compte que le Valentin d’avant son stage n’a plus rien à voir avec ce qu’il est devenu après. Sa complicité avec Sola l’a beaucoup aidé. Et lui-même l’a aidée en étant à l’écoute de son histoire. La recherche de sosies de Françoise Hardy n’est pas le seul fil conducteur du roman, car au fond, on en apprend plus sur la vie de Valentin et les relations qu’il entretient avec sa famille, ainsi que sur la mort de Marin, l’homme que Sola aimait, qui a bouleversé sa vie. Les résidents occupent une place tout aussi importante au sein du récit. À la fois distants de par leur condition mais proches grâce aux caractéristiques qui leur sont données, Clémentine Beauvais offre une approche à la maladie loin des stéréotypes qu’on peut rencontrer habituellement.

Parfois, je me dis que ces conversations servent plus à moi qu'à eux, mais en fait je n'en sais rien. On n'en sait rien. Peut-être que loin quelque part dans leur cerveau tout rongé, il y a mes mots qui viennent mettre des petites caresses. La recherche ne montre rien de très concluant à ce sujet, c'est difficile de dire ce qui les émeut ou pas, les touche, reste, part.

Pour finir, ce roman est truffé de références aux années 60. On y retrouve la musique de Françoise Hardy, de Sheila, de France Gall ou encore de Jane Birkin. J’avoue que cet univers ne m’était pas familier, mais j’ai beaucoup apprécié en apprendre davantage sur cette période. Valentin reprend également des vêtements aux couleurs acidulées, bien typiques de ces années-là. L’ambiance générale du roman, tout comme sa couverture yéyé, nous propulsent dans le passé.

À mi-chemin entre comédie et roman d’apprentissage, Âge Tendre m’a bouleversé avec ses moments d’émotion, sa tendresse et sa dimension psychologique. Plus qu’un simple roman jeunesse, ce livre s’adresse aux adolescents, mais pas uniquement .

Même rédacteur·ice :

Âge Tendre

Par Clémentine Beauvais

Éditions Sarbacane, 2020

388 pages