critique &
création culturelle
Le Prince cruel de Holly Black
Un univers de magie

Holly Black, autrice américaine déjà connue pour sa série de livres pour enfants les Chroniques de Spiderwick , nous invite dans un nouvel univers fantasy et original qui met l’eau à la bouche. Avec son roman le Prince cruel , elle commence une saga riche de personnages intrigants et de sujets de société, plongés au cœur des fées et des gobelins.

Dans ce roman pour jeunes adultes, Holly Black nous propose un monde inconnu et merveilleux sorti tout droit de son imagination. Grâce aux créatures magiques issues de nombreuses cultures, elle nous invite dans la vie de Jude, jeune fille humaine emmenée dans le pays des Faes à l’âge de six ans. Ce pays nommé Terrafae, voisin du nôtre mais dissimulé à l’aide de sortilèges, abrite des créatures plus fantastiques les unes que les autres mais également de nombreux dangers. Pour Jude et ses deux sœurs, les ensorcellements se révèlent non seulement effrayants et risqués, mais surtout potentiellement mortels. Bien décidée à survivre à ce pays qui traite en esclaves le peu d’humains qui s’y trouvent, Jude veut devenir quelqu’un. Pourtant, lorsqu’elle croise la route d’une bande de Faes particulièrement cruels au sein de son école, les choses se compliquent. Harcelée et menacée, le jeune fille se met à dos la bande du jeune prince Cardan. Elle devra alors être prête à tout pour défendre sa place à Terrafae.

Je me permets de te rappeler que tu as beaucoup à perdre, contrairement à moi qui n'ai rien. Peut-être que tu finiras par gagner. Peut-être que tu m'ensorcelleras, que tu me feras souffrir, que tu m'humilieras, mais je veillerai à ce que, dans ta chute, tu perdes tout ce dont je pourrai te priver.

Après avoir plongé dans les premiers chapitres de ce roman, un choix de l’autrice m’a frappée : le désir d’ancrer le début de l’histoire autour du thème du harcèlement. En effet, Jude, notre personnage principal au caractère bien trempé, se retrouve harcelée à l’école à cause de sa condition d’humaine. Celle-ci décide alors de se battre becs et ongles pour se faire une place, tant dans cette école d’êtres magiques que dans sa famille légèrement farfelue. J’ai trouvé original le fait que l’histoire se déroule dans une école, permettant ainsi aux jeunes lecteurs de pleinement s’identifier. Le harcèlement a aussi été un sujet qu’il m’a semblé intéressant de retrouver dans un livre destiné à la jeunesse. Certes, il n’est peut-être pas assez dénoncé, mais le roman permet avant tout d’ouvrir à la discussion. La nouveauté se trouve bien dans le choix de parler de harcèlement dans un univers fictif. Ce sujet, souvent cantonné aux romans de vie, pourrait alors repousser certains jeunes lecteurs avides d’aventure et de frissons. Pourtant ici, le roman nous propose les deux éléments : une leçon de vie et des palpitations magiques qui donnent envie de tourner les pages. Réunissant avec brio cela, le Prince Cruel parvient à toucher son jeune lectorat.

Ce premier tome nous introduit dans l’univers de Terrafae, rempli de créatures originales et peu connues. Pourtant, les descriptions restent assez légères. Le lecteur réussit à se situer sans pour autant être imprégné d’informations qui permettraient d’imaginer totalement ce monde féérique. Plutôt destiné à un jeune lectorat, le roman s’adapte parfaitement à celui-ci. Loin de nous proposer un univers riche, tel le Trône de fer , il offre malgré tout un décor intéressant qui ne demande qu’à être creusé. Les deuxième et troisième tomes permettront peut-être de s’aventurer plus en avant dans l’ambiance de l'œuvre pour être ainsi délicieusement conquis.

De plus, l’univers n’est pas le seul élément qui demande à être creusé. Les personnages aussi nous donnent envie de les découvrir avec plus de profondeur. La principale héroïne de l’histoire, Jude, nous charme par son caractère fort, ses prises de décisions, sa volonté de ne pas se faire marcher sur les pieds. Plongé dans sa tête, le lecteur ne désire alors plus qu’une chose : entrer aussi dans celle des autres ! Comprendre la méchanceté de Cardan, ce prince harceleur, les motivations de Taryn, la jumelle de Jude au caractère mystérieux, celles de Vivi, sa grande sœur… L’intérêt d’une suite, au-delà de l’histoire, n’en est alors que plus grand.

Parce que tu es comme une histoire qui n’a pas encore été écrite. Parce que j’ai envie de savoir ce que tu feras ensuite. Je veux faire partie de la suite du conte.

Au-delà du thème ou encore du cadre, le récit est également très prenant. La plume accessible du fait de sa simplicité permet au lecteur de tourner les pages à toute vitesse et de suivre le personnage de Jude avec une curiosité palpable. Le style de l’autrice, nourri de phrases courtes allant directement là où elle veut en venir, ne se rengorge pas de fioritures. Limitant les descriptions à leur stricte nécessaire, elle offre une histoire rapide à lire, tel un film qu’on regarderait sans difficulté, mais qui selon moi manque de richesse. Ce détail pourtant pourrait justement être la clé qui permettra au jeune lectorat de ne pas s’ennuyer un instant et de continuer à lire, peut-être plus habitué à ce style presque cinématographique. Alors que je m’attendais à une histoire d’amour très présente, le fil du récit m’a permis de découvrir que celle-ci n’était que secondaire. L’autrice a choisi de s’attarder plutôt sur la vie de Jude ainsi que sur la politique du royaume, et a laissé de côté la romance sous-jacente (au grand plaisir des moins romantiques d’entre nous). Holly Black réussit à nous tenir en haleine et à créer un univers intéressant sans pour autant rendre son roman hermétique aux lecteurs plus jeunes et moins habitués à la fantasy.

Je conseillerai donc ce roman à de jeunes adolescents (ou pré-adolescents), passionnés d’univers et de créatures magiques, cherchant une histoire mature et réfléchie sans pour autant se retrouver bloqué ou refroidi par la plume d’un auteur trop précis.

Même rédacteur·ice :

Le Prince cruel

Holly Black

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Leslie Damant-Jeandel

Rageot, 2020

531 pages