critique &
création culturelle
Les Vermeilles
Voyage dans la couleur des songes

Entre rêverie fabuleuse et récit initiatique teinté d’absurde, Les Vermeilles de Camille Jourdy est une lecture éclatante de singularité qui, en mêlant des imaginaires pluriels, crée un univers poétique aux ressources inépuisables.

Lauréat 2020 du prix Fauve Jeunesse à Angoulême, Les Vermeilles est le dernier livre de Camille Jourdy – autrice, entre autres, de Rosalie Blum (2007-2009), de Juliette (2016) et d’une dizaine d’albums jeunesse. Pour ce gros volume à l’épaisse couverture cartonnée, on hésite entre l’album et la BD, mais que personne ne s’y trompe : cette étrange histoire résiste à la catégorisation tout comme à l’attribution d’un public-cible. Lecteurs de tous âges y trouveront matière à faire pétiller leur imagination et s’écarquiller leurs yeux fascinés.

D’emblée, le livre a tout pour séduire : une couverture de nuées roses et vertes, ciel, mer ou forêt fabuleuse, et un titre flottant entre le mot d’enfant et la trouvaille poétique. Son charme si évocateur tient beaucoup au mot préexistant dont il constitue le reflet : le vermeil est une couleur littéraire, « un rouge vif et léger », mais aussi un métal précieux. Les Vermeilles se vit comme un plongeon dans la synthèse de ces deux acceptions : un univers de couleurs lumineuses qui laisse le lecteur rêveur. Récit d’aventures poétiques, Les Vermeilles raconte, sous le trait sobre et délicat de Camille Jourdy, l’échappée de Jo dans une forêt d’aquarelles pastelles. Elle y rencontre un bichon avec des petites bottes arc-en-ciel, un homme-renard amateur de patates, une femme-chat super balèze, un couple de petites personnes couronnées qui ne sont pas des lutins (« Pourquoi faut-il toujours que l’on nous traite de lutins ? ») et qui resteront, comme toute la farandole de créatures hybrides peuplant cet univers merveilleux, non identifiés. Ce peuple bigarré habite de petites maisons de paille et de bois, sous et dans les arbres, composant une société paisible où il fait bon vivre à sa façon. Tout ce beau monde a cependant un problème, qui il prend la forme d’un gros chat tyrannique en habits princiers. Délivrer leurs copains de la prison du château et garantir la liberté de tous : voilà ce qui occupe Jo, Maurice et Pompon, dans une aventure funambulesque aux accents misarchiques1 .

Le récit est construit sur l’image d’un rêve éveillé dans lequel on aurait doucement glissé, à se balader dans la nature les yeux grands ouverts, attentif aux discrètes manifestations des êtres vermeilleux. On y retrouve l’absurdité impénétrable des songes au travers de l’errance dans des lieux sans lien, la succession d’événements et de situations rocambolesques, la rencontre de personnages hétéroclites, à la fois étranges et familiers. Le caractère inexpliqué de l’histoire témoigne de son infinie richesse : l’univers imaginé par Camille Jourdy n’a rien à envier à ceux d’Alice et de Peter Pan, auxquels il fait écho mais dont il se différencie par sa brillante originalité. Tous ces microcosmes et ces personnages transcendent, avec leur loufoquerie et leur franchise, les contes qu’ils semblent évoquer. On soupçonne, dans Les Vermeilles , des dizaines d’autres histoires, de parcours singuliers et d’aventures collectives, enrobées, comme celle qui nous est offerte par l’autrice, des plus belles couleurs de l’enfance et servies sur un ton qui tient autant de la pure poésie que d’un ébouriffant sens comique. Et le plus beau, dans tout cela, c’est qu’il reste au lecteur à les imaginer.

Même rédacteur·ice :

Les Vermeilles

Écrit et illustré par Camille Jourdy

Actes Sud BD, 2019

160 pages

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