critique &
création culturelle
Pelléas et Mélisande et la Princesse Maleine
Maeterlinck en fête !

Enfin réédité comme il le mérite, Maurice Maeterlinck trouve une nouvelle jeunesse grâce à la collection Espace Nord. Ses grands classiques comme ses œuvres moins connues sont rendus au public, pour le grand plaisir des amateurs et des curieux.

Lorsqu’on songe à découvrir la littérature belge, il est évident qu’un des premiers auteurs à aborder est Maurice Maeterlinck. Qu’on ait déjà lu plusieurs de ses œuvres ou qu’on le déniche enfin, l’auteur belge est très connu, notamment pour avoir gagné le prix Nobel de littérature en 1911. Immédiatement, un prix si prestigieux met la puce à l’oreille : qu’a pu écrire cet important écrivain, né en 1862 et mort en 1949 ? Déjà, on sera surpris par le nombre important de créations qu’il a pu écrire, et par les différents genres littéraires auxquels il a pu toucher. Il est connu pour son théâtre, avec sa pièce les Aveugles entre autres, mais a également publié de la poésie, avec par exemple Serres chaudes et même des essais, comme le Trésor des humbles . Maeterlinck, s’il est bien sûr connu pour plusieurs de ses œuvres qui seront de grands succès - notons la renommée de Pelléas et Mélisande - est également aujourd’hui reconnu comme étant une figure importante du mouvement symboliste belge.

S’il fallait très brièvement définir le symbolisme, dans lequel s’inscrit l’artiste, nous pourrions parler d’un mouvement artistique commençant dans les années 1870 et se caractérisant par une forte attirance pour le rêve, l'ésotérisme et la mélancolie. Parmi les artistes les plus connus, on trouve Stéphane Mallarmé, Félicien Rops ou Gustave Moreau. Ces artistes donneront chacun à leur manière une attention particulière au symbole dans l’art, que ce soit en littérature, en peinture ou en gravure. Ainsi, Maeterlinck définit lui-même ce symbole et insiste sur un « refus de l'intellectualisme qu’il juge abstrait et improductif, au nom de l’existence en nous d’un moi profond – très proche du moi transcendantal de Novalis – dynamique, créateur et ouvert aux appels de l’inconscient. » Le symbole devient alors intéressant car il ne se contente pas de répondre à un quelconque désir de défi intellectuel ou de jeu de l’esprit, mais parce qu’il ouvre à une dimension plus large de compréhension du monde en faisant appel à notre inconscient. Le symbolisme ne se contente alors pas de satisfaire une élite littéraire qui comprendrait ces symboles : il ouvre à la construction d’une véritable dimension littéraire et artistique.

On ne peut penser à Maeterlinck sans songer au terme souvent utilisé de « symbolisme belge ». Cocasse d’observer en effet que personne ne penserait à nommer un certain « symbolisme français ». À l'époque, le contexte littéraire se marque d’une volonté de se différencier de la France, sans pourtant parvenir ou même vouloir s’en détacher complètement. On voit apparaître une volonté des auteurs de s’inscrire dans une littérature belge, en affirmer des particularismes nationaux. Chez Maeterlinck, cela passe notamment par une forte implication en politique, choisissant par exemple de soutenir les grèves socialistes, là où les symbolistes en France auront une position plus neutre vis-à-vis de la politique. Cela passe aussi par l’utilisation de modèles littéraires et d’inspirations qui sortent de la tradition, comme les auteurs flamands ou les mythes nordiques alors remis aux goûts du jour. Le symbolisme belge sera d’ailleurs le seul à continuer sa route jusqu’au début du XXe siècle, tandis que le français prendra fin plus tôt, affirmant cette distinction entre les deux.

Mais aujourd’hui, pourquoi lire encore Maeterlinck ? Évidemment, l’auteur belge est intéressant, ne serait-ce que par curiosité historique ou culturelle, pour lire du belge et pour découvrir un auteur de renom. Pourtant, un autre élément majeur pour enfin se décider à commencer une œuvre de Maurice Maeterlinck est son côté profondément distrayant. Le symbolisme de l’auteur a en effet selon moi l’avantage d’être particulièrement agréable à la lecture, avec sa plume plutôt simple mais l’invocation d’images fortes et marquantes.

Pelléas :
Je ne souffre plus au milieu de tes cheveux…
Tu entends mes baisers le long de tes cheveux?
Ils montent le long de tes cheveux…
Il faut que chacun t'en apporte…
Tu vois tu vois, je puis ouvrir les mains…
J'ai les mains libres et tu ne peux plus m'abandonner…

Il nous invite à découvrir le symbole, à le décrypter, à s’y intéresser, sans pour autant nous y noyer. Ainsi, le lecteur peut découvrir avec plaisir l’histoire de la princesse Maleine ou celle de Mélisande, avant de peut-être se décider à aller plus loin et à se plonger dans les nombreux symboles sous-jacents.

La Princesse Maleine est une des pièces de théâtre qui permettra de faire connaitre Maeterlinck au monde. L’histoire au premier abord simpliste se révèle remplie de mystères et de petites pièces cachées à l’intérieur du texte principal. Les personnages, curieux et hauts en couleur, sont attachants et nous révèlent leurs récits avec passion, comme ce roi s’approchant doucement de la folie et mené en bateau par sa maitresse. L’histoire nous charme et nous apprivoise, permettant de découvrir le style particulier de Maeterlinck, tout en finesse. Sa plume ne s'embarrasse pas de fioritures pour offrir finalement une émotion plus directe.

Stéphano :
Encore la comète de l'autre nuit!

Vanox :
Elle est énorme !

Stéphano :
Elle a l'air de verser du sang sur le château !
Ici une pluie d'étoiles semble tomber sur le château.

Vanox :
Les étoiles tombent sur le château ! Voyez ! voyez ! voyez !

Stéphano :
Je n'ai jamais vu pareille pluie d'étoiles ! On dirait que le ciel pleure sur ces fiançailles !

Bien sûr, il n’est pas possible de penser à Maeterlinck sans songer à la pièce Pelléas et Mélisande , sans doute la plus connue de l’auteur et non sans raison. Jouée par d’immenses comédiens comme Sarah Bernhardt, la pièce inspirera de nombreux musiciens aujourd’hui très connus, de Schönberg en passant par Debussy ou Sibelius. Elle est d’ailleurs encore souvent jouée ou reprise aujourd’hui et continue à faire battre les cœurs. Triangle amoureux curieux, centré sur le personnage de Mélisande auréolée de mystères, la pièce nous invite à suivre ce ballet passionné faisant s’entrecroiser le destin des différents personnages. Tout en non-dit et délicatesse, l’amour entre Pelléas et Mélisande naît progressivement et s’insuffle dans les cœurs des personnages comme des spectateurs. Le texte garde cette même limpidité qu’on observait déjà dans La Princesse Maleine , malgré tous les symboles qui se trouvent à chaque coin de texte, n’attendant que d’être démasqués. On pensera notamment à cette fontaine dans laquelle l’anneau de Mélisande disparaîtra, symbole sûrement de son nouvel amour l’éloignant d’un mariage avec Golaud.

Mélisande :
Ma bague ?

Pelléas :
Oui, oui ; là-bas…

Mélisande :
Oh! oh!
Elle est si loin de nous!
Non, non, ce n'est pas elle…ce n'est plus elle.
Elle est perdue… perdue…
Il n'y a plus qu'un grand cercle sur l'eau…
Qu'allons faire maintenant?

Pelléas :
Il ne faut pas s'inquiéter ainsi pour une bague.
Ce n'est rien, nous la retrouverons peut-être!
Ou bien nous en retrouverons une autre.

Pourtant, dans cette pièce, on est avant tout face à une histoire d’amour, profondément touchante et charmante, dont on prie intensément pour qu’elle se finisse bien.

Dans les deux pièces, finalement, on voit le talent de Maeterlinck qui se révèle dans cette capacité à proposer des œuvres riches, complexes et immenses, mais qui pourtant restent claires et agréables pour un premier décryptage, celui qui ne parvient pas encore à tout déchiffrer et qui s’intéresse malgré tout aussi à l’histoire.

La collection Espace Nord rend cela possible grâce à ces rééditions. Au début, la pièce s’offre dans sa plus grande simplicité, permettant une première découverte légère et charmante ; puis enfin de larges dossiers donnent l’occasion de s’instruire et de mieux comprendre, d’approfondir et d’enrichir notre lecture. Ce format est bien pensé et n’entache par la première reconnaissance du texte, tout en autorisant malgré tout à ne pas rester sur sa faim.

Même rédacteur·ice :

Pelléas et Mélisande
Maurice Maeterlinck
Postface de Paul Aron
Août 2021 (1ère éd. 1892)
160 pages

La Princesse Maleine
Maurice Maeterlinck
Postface de Fabrice van de Kerckhove
Août 2021 (1ère éd. 1889)
320 pages