critique &
création culturelle

Terrible Emprise

Emprise est une fiction écrite par la jeune Manon Terwagne, lauréate du prix Laure Nobels 2021-2022. Publié chez Ker éditions, ce premier roman aborde la problématique très actuelle des violences conjugales. Inconfortable et déstabilisant.

Le mariage de Joséphine et Raphaël présageait un avenir à l’eau de rose, idyllique, aux airs de contes de fée. Un amour fort, pur, source de bonheur. Et pourtant… les choses ont bien changé avec le temps. La fougue de ce jeune couple s’est transformée en cage pour Joséphine, prisonnière de sa vie et de son destin.

Raphaël prive sa femme de son travail à la boutique de fleurs, désormais vouée à s’occuper des enfants et à faire les tâches ménagères de la maison. La vie de Joséphine devient une corvée. Heureusement, elle a ses bambins qui sont tout pour elle et elle tente de les protéger contre leur père qui devient de plus en plus instable, agressif et violent, sans toujours se protéger elle-même. L’annonce du confinement résonne alors comme une « bombe qui vient de s’abattre » sur la jeune mère.

Ce premier roman de Manon Terwagne a remporté le Prix Laure Nobels 2021-2022. Créée par la Fondation Laure Nobels , cette récompense a été créée pour financer et soutenir la publication et la promotion d'œuvres littéraires de langue française, écrites par des jeunes écrivains et écrivaines âgés de 15 à 24 ans. Le prix est remis lors de la Foire du Livre à Bruxelles , chaque année. Les années paires c’est la catégorie des 15 - 19 ans qui est récompensée. Les années impaires, ce sont les jeunes de 20 à 24 ans.

Entre fiction et réalité

Emprise est une fiction au réalisme troublant qui convoque une thématique très actuelle : celle des violences conjugales. En effet, la force de ce roman réside dans sa capacité à narrer les faits et les événements de telle sorte qu’ils semblent concrets, alors que l’histoire elle-même semble être un mélange de fiction et de ce que l’autrice a pu récolter comme ressenti de par sa profession (Manon Terwagne est étudiantes en sciences sociales et a été amenée à côtoyer des femmes victimes de violences conjugales). Ce roman, elle l’a rédigé en plein confinement, devant son ordinateur - comme elle le confie dans un article de la RTBF .

Les effets de réalisme sont renforcés par toute une série d’éléments et de descriptions qui ancrent l’histoire dans le temps et dans l’espace. On retrouve par exemple des noms de lieux belges : Lasne, Uccle, etc. On évoque le moment de surinformation quant à la crise du Coronavirus, avant que le virus n’arrive chez nous : la situation en Chine puis en Italie et le premier cas au sein de nos frontières. Les passages descriptifs du roman alternent avec les dialogues et viennent donner un rythme à l’histoire de Joséphine. Ils sont assez brefs, simples mais bien pensés en ce qu’ils facilitent la représentation mentale du lecteur.

Les chapitres sont également divisés par temporalité. Chaque chapitre renvoie à un jour daté avec précision. Tout ceci ancre le roman et donne l’impression que Joséphine, Raphaël et leurs enfants existent bel et bien.

« En lisant le journal ce matin, j’ai découvert la mauvaise nouvelle : un premier décès vient d’avoir lieu en France suite à cette maladie, la Covid-19. C’est hallucinant. Je ne sais pas dans quel monde nous allons vieillir, dans quel monde mes enfants vont grandir, mais sûrement pas celui que j’avais espéré pour eux. Cet après-midi, ils sont au parc avec mes beaux-parents. Tant mieux, cela leur permet de changer d’air, de respirer un peu. »

La violence conjugale

La thématique de la femme battue dans Emprise est très contemporaine de notre société et incite encore plus à lire le roman sous le prisme d’un regard naturel et féministe. D’emblée, avec un sujet si prenant et si tabou à la fois, le lecteur ne peut que soutenir la narratrice, la plaindre et se montrer empathique. À l’instar de Joséphine, il passe par toute une série d’émotions : la compassion, la résignation, l’empathie, la colère, le soulagement, etc. C’est sans doute aussi l’une des volontés du livre : susciter une mosaïque de sentiments et, surtout, espérer que cette situation ne se reproduise plus ailleurs.

« C'est un sujet encore trop tabou, c'est vrai qu'on en parle de plus en plus et c'est très bien, mais il y a encore tant de choses sur lesquelles ont doit encore mettre la lumière. Je pense au viol conjugal par exemple. Ce n'est pas parce que Raphaël est son mari et que quelque part en elle Joséphine l'aime encore, que quand il la force à avoir des rapports sexuels on ne peut pas appeler ça un viol. C'était très important pour moi de l'écrire », confie l’écrivaine à la RTBF.

Plus que jamais, et particulièrement lors du confinement que nous avons traversé, les risques de violences misogynes prolifèrent, sans qu’une dénonciation ne suive. Souvent, les principales victimes restent dans l’ombre, apeurées et inquiètes de possibles représailles. Emprise casse ce silence, cette solitude. SPOILER ALERT : 1

Mais la violence de cette histoire ne se résume pas à des ruées de coups portés sur le corps de Joséphine déjà beaucoup trop abimé. La manipulation mentale est omniprésente. Raphaël n’a de cesse de lui répéter qu’elle n’est rien sans lui. Que si elle lui désobéit, il s’en prendra aux enfants et la laissera seule. La pression est constante chez Joséphine, elle vit dans la terreur et dans la peur d’énerver son mari une fois de plus, une fois de trop.

Mais la limite de la violence ne s’arrête pas là. Elle a un paroxysme. Et Raphaël l’atteint lorsqu’il ose poser la main sur ses deux enfants en bas âge, Marie et Achille. Cette agression aura pour effet d’alarmer Joséphine, qui s’interpose entre son mari et ses enfants. La scène est horrible à lire. Elle met mal à l’aise.

« Je ne m’en suis pas rendu compte, mais je tremble. Je suis tétanisée. Je dois protéger mes enfants. (…) Ma voix l’agace, ses yeux lancent des éclairs et il commence à crier. – Vous avez peur de votre père bande d’ingrats. Tout ce que vous avez ici c’est grâce à moi. Un peu de gentillesse de votre part, ce serait trop demander ? (…). Il s’est rapproché de Marie. Elle commence à pleurer. Je suis comme un automate, je m’interpose entre eux. »

C’est la première fois où Joséphine songe à quitter son mari. Cet événement tragique et riche en émotions l’a convaincue : elle doit prendre son avenir en main et quitter son mari. Une nouvelle vie va s’offrir à elle, à sa famille. Elle ne sera pas facile, certes, il faudra se reconstruire, mais la quiétude et le bonheur pourront être retrouvés. Soulagement.

Une lecture inconfortable

De manière générale, lire Emprise a été un exercice difficile pour moi. Suivre le récit d’un personnage maltraité, en souffrance physique et mentale, n’a rien d’agréable. C’est inconfortable. On ne sait pas où se mettre, on s’immisce dans l’intimité d’un couple, d’une famille dont on ne veut pas découvrir les secrets et les côtés sombres.

On assiste, impuissant, au spectacle d’une femme aux prises de son destin, sous l’emprise de son mari…  C’est révoltant. Et le fait de savoir que cela se produit aussi dans la réalité l’est encore plus. J’ai envie de secouer Joséphine, de lui hurler dessus. Mais en même temps, je ne peux que montrer de l’empathie et la comprendre.

Je pense que ce sentiment de révolte est également lié à la situation actuelle. Il est latent dans le roman. Emprise s’inscrit effectivement dans ce mouvement Metoo, cette volonté de revendiquer les droits de la femme. C’est un bel hymne à la femme, à sa force, à son courage. L’émancipation de Joséphine est sublime. Ce n’était pas gagné d’avance mais la jeune femme y est parvenu. L’espoir :voilà le message final du roman.

À toutes les femmes qui n’ont pas encore osé parler de leur vécu, de la violence dont elles sont victimes. Osez. Faites comme Joséphine. Vous n’êtes pas seules.

Même rédacteur·ice :

Emprise

de Manon Terwagne
Éditions Ker, 2022
140 pages