critique &
création culturelle
Entretien avec
Astrid Van Impe

Nous poursuivons nos visites dans les bureaux des différents directeur.rice.s du paysage théâtral bruxellois : aujourd’hui, Astrid Van Impe, directrice du Théâtre 140 à Schaerbeek. Tout avait bien commencé, jusqu’à ce que…

…mon dictaphone tombe en rade. Ô fatalité, il n’avait pas enregistré le moindre mot d’une demi-heure d’entretien fécond. Obligés donc de recommencer, avec moins de détails et sans la spontanéité, sur des questions déjà posées…

Bon, reprenons par-là : tu hérites du travail de Jo Dekmine, qui était réputé pour son rôle de passeur et de découvreur. Vas-tu continuer dans cette voie ou plutôt choisir un chemin alternatif ? Comment envisages-tu par la même occasion ta position de directrice de théâtre ?

Astrid Van Impe : Je l’envisage de manière différente. D’une part en fonction de l’équipe. Je suis disponible pour travailler en collectivité, créer des projets ensemble, motiver, trouver des solutions. Du côté de l’héritage (qui est un fameux héritage d’ailleurs), je veux pouvoir continuer à faire resplendir le 140. Je voudrais que le public continue à venir découvrir ces objets particuliers si chers au 140.

Est-ce qu’une personne t’a particulièrement inspiré ? Aurais-tu un mentor ?

Je ne pense pas avoir de mentor. Je suis admirative de ce qui se passe pour l’instant, dans le monde du théâtre ou de la culture, où il y a une jeune génération qui a envie de faire bouger les choses et de les faire différemment, d’être davantage dans l’échange, dans le partage, et non dans la position d’une personne au sommet d’une organisation, ce qui provoque une forme de travail assez stérile. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, il y a toute une jeune génération qui veut faire bouger et partager, et on ne défend plus ses projets de manière totalement égocentrée. On parle aussi du projet de l’autre. De tout ça, je suis admirative et je me retrouve dans cette démarche.

Cette manière d’envisager les relations avec les autres se retrouve dans les échanges que le 140 entretient avec les habitants du quartier.Vous organisez des projets participatifs avec eux, c’est bien ça ? Quels sont-ils ?

C’était un souhait. Le quartier a énormément changé, là où il y a encore quelques années il était habité par des eurocrates qui le désertaient le week-end pour rentrer chez eux. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de jeunes et de jeunes familles qui s’installent ici, et nous voulons vraiment pouvoir exister comme lieu de rencontre au sein du quartier.

On a contacté toutes les associations de quartier, on développe des ateliers, et on a non seulement un gros projet pour la saison prochaine, mais aussi pour celle-ci, au sein de Kidzik 1 . Il y avait cette envie de pouvoir défendre la musique francophone belge et de pouvoir proposer des concerts pour les enfants. Dans le cadre de Kidzik, on va organiser un orchestre d’un jour avec Baudouin de Jaer 2 . Il les prend en charge toute la journée, et il va leur donner des notions en solfège, ils vont fabriquer des instruments ensemble, et le soir ils vont jouer leur concert devant les gens qui seront présents.

Affiche de la saison 2016-2017.

En feuilletant la programmation, je me suis rendu compte qu’il y avait d’un côté des spectacles très politiques, de l’autre de vrais divertissements, ce qu’on pourrait qualifier de programmation éclectique. Est-ce que je me trompe ?

Il y a d’un côté une envie de pouvoir susciter la réflexion. Nous ne voulons pas uniquement présenter le spectacle, et que le spectateur soit devant une certaine parole sans possibilités d’enrichir sa pensée. Nous travaillons donc avec une série d’associations (la PAC , le CIRÉ , l’ Arab Women’s Solidarity Association ) qui organisent aussi des débats, etc. Elles vont pouvoir donner des clés face à certains thèmes de société. On avale une série d’informations fournies par nos médias qui ne sont pas toujours pertinentes et dont on ne sait pas quoi retirer, et ces pistes serviront à savoir ce qu’on peut faire face à ses problématiques. C’est l’envie de ne pas présenter uniquement un spectacle, c’est aussi de pouvoir se situer dans notre société.

Dans les Lettres de non motivation 5 , l’auteur Julien Prévieux voulait dénoncer le formatage du marché de l’emploi. Il faut porter son costume, s’exprimer de telle manière… Des mots reviennent donc au fur et à mesure. Mais le spectacle est aussi drôle ! On veut garder cet esprit décalé, au second degré, propre au 140. Il faut se divertir en prenant conscience de thèmes politiques. Ce ne sont pas des conférences philosophiques, ce sont des sorties culturelles avant tout.

Le 140 veille aussi à avoir des échanges avec les écoles. Comment ça se passe ?

Il y a des animations qui sont données en classe. Les professeurs avec qui on travaille ne font pas que de la sortie scolaire, ils s’investissent avec nous dans la démarche envers leurs classes. Avec les animations, les élèves sont donc sensibilisés et armés avant les spectacles.

Veilles-tu à un mélange entre les différents arts de la scène ?

La programmation au 140 a toujours été pluridiscplinaire, et j’ai de plus en plus envie d’investir cette idée, mais aussi l’interdisciplinarité. Je suis particulièrement touchée par la danse, parce qu’il y a une force supplémentaire qui se crée quand un message se construit avec le corps. Et puis les danseurs deviennent aussi des comédiens, ils portent des maux. En théâtre, je préfère ne pas rester dans un schéma classique et avoir des interventions de musiciens, de VJ… pendant la prestation théâtrale.

L’ancien directeur du 140, Jo Dekmine.

Tu essaies donc d’échapper aux schémas classiques, alors que tu dis avoir été biberonnée aux grands auteurs classiques ?

C’était pour consoler mon manque de formation en théâtre. J’avais besoin de repartir d’une base et d’aller d’abord voir les classiques. Je pense que ça m’a permis de comprendre les spectacles déconstruits. Il faut quand même maîtriser certains codes pour pouvoir entrer dans un théâtre plus complexe.

Aujourd’hui, j’adore les monologues. Il y a quelque chose qui me fascine chez certains comédiens. Cette manière d’emmener le spectateur avec des mots, de passer d’un sujet à l’autre, qui nous suspend à leurs lèvres… Ce côté conteur retrouve sa place dans les théâtres. Le slam va aussi être très présent au 140, des projets se mettent en place. William Cliff est d’ailleurs déjà venu dire ses poèmes (j’estime que ça se rapproche du slam), moment pendant lequel des élèves sont venus lire aussi ses textes. C’était un chouette moment d’échange.

TOUT AUTRE CHOSE

Un livre ?

Il y en a pas mal, ça dépend le point de vue… Il y a des bouquins qui m’ont emmenée, comme le Comte de Monte-Cristo, ailleurs, dans la rêverie. Sinon, 1984 est un livre qui m’a marqué, j’y repense souvent et j’en parle souvent aussi ! Mais je lis plusieurs livres en même temps en général, c’est donc difficile d’en épingler un.

Un film ?

Je ne suis pas une grande cinéphile, je vais assez peu au cinéma mais je crois que c’est une question de temps. Cela dit, j’ai revu hier soir [l’entretien a eu lieu le mercredi 28 octobre] un reportage sur Almodovar, dont j’ai vu pas mal de films. Il y a quelque chose dans son cinéma que j’aime beaucoup. Volver m’a par exemple beaucoup touché. J’ai revu aussi une bonne partie des Hitchcock récemment : sa manière de filmer, notamment dans Fenêtre sur cour ou Mais qui a tué Harry ? , des films qui sont aussi dans le décalé complet : j’adore ! Dans Fenêtre sur cour , on ressent un peu les mêmes sensations qu’au théâtre.

Une autre œuvre ?

Il faudrait que j’y réfléchisse… Sur le moment, je ne sais jamais quoi répondre ! J’ai du mal à choisir une chose… Quand les œuvres te marquent, c’est dans un contexte particulier, dans des circonstances particulières, c’est difficile d’en retenir une à tout prix. Donc je ne pense pas qu’il y ait par exemple la plus belle photo, la plus belle pièce de théâtre, la plus belle peinture… Je pense quand même à la série sur Glasgow… Ce photographe français [Raymond Depardon] … Ces photos ont une lumière fabuleuse, puis elle fixe toute une période, un décor hallucinant où tu ne voudrais jamais vivre. Là, oui, c’est une série qui m’a marquée.

Photo © Raymond Depardon, dans la série prise à Glasgow.

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