critique &
création culturelle

ADN

Maïwenn et le droit d’inventaire

ADN est le dernier film de Maïwenn, co-réalisé par Mathieu Demy. À l’instar de quelques réalisations précédentes, Maïwenn nous plonge au cœur d’une famille en deuil. ADN dissèque l’intime, raconte le particulier de manière universelle et jalonne un peu plus l’exploration des identités blessées par l’auteure de Mon Roi .

Neige est une mère célibataire que l’on accompagne dans le deuil de son grand-père. On comprend assez vite qu’il était le ciment d’une famille minée par les querelles, la rancœur et les non-dits. Malgré la dureté et même la malveillance avec laquelle ils se traitent, on perçoit une sorte d’amour et de solidarité qui les ramènent inévitablement les uns vers les autres. La dynamique de cette famille est comme celle de beaucoup d'autres : elle a sa logique propre qui nous échappe.

À la mort du grand-père, originaire d’Algérie, chacun se positionne par rapport à ses racines ; chacun affirme et redéfinit les contours de son identité en piochant dans le large héritage culturel laissé par le défunt. Les questions personnelles qui taraudent Neige et les siens  atteignent alors une dimension qui les dépassent : tôt ou tard, un enfant d’un immigré réinterroge son appartenance et doit résoudre l’équation d’un conflit de loyauté entre ses racines et la pays  dans lequel il est né ou dans lequel il évolue.

La recherche de Neige et sa volonté de pacifier toutes les parts d’elle-même, nous ramènent immédiatement aux Identités meurtrières d’Amine Maalouf et l’analyse que le célèbre auteur y propose sur l’identité dans sa multiplicité et la complexité des appartenances. Maïwenn transpose à l’écran la question de l’origine sous le  prisme du conflit de loyauté, à l’instar de l’Immortel . De façon plus superficielle néanmoins : avec ADN , Maïwenn pose un sujet qu’elle effleure et n’exploite que superficiellement. La déchirure de Neige, descendante d’un immigré Algérien en France. Cette déchirure également symbolisée par celle de sa famille a beau être au coeur du film, elle reste traitée, selon moi, de façon simpliste. On se doute pourtant que ce film, comme d’autres des siens, parle de la réalisatrice elle-même. Il tire son authenticité de cette part d’intime, du fait qu’on comprend que Maïwenn se livre une nouvelle fois à l’écran, sans chercher à voiler les ressentis et leur violence, avec une fausse pudeur.

Certains personnages sont stéréotypés comme Kevin, son jeune neveu (Dylan Robert) ou encore sa mère incarnée par une Fanny Ardant  histrionique au possible. On ne sait pas si c’est un choix délibéré mais il fait peur de prime-abord : on redoute de ne pas entrer dans l’histoire, de ne pas y croire. Puis on finit par être pris dans l’univers de Maïwenn, taillé à son image où excès et drames sont assumés et cassés par une forme de légèreté.  Louis Garrel, surprenant dans la peau du meilleur ami, y est pour beaucoup dans cette note rafraîchissante : malgré son second rôle, il transperce l’écran. Révélé autrement qu’en bellâtre ténébreux, on est séduit par sa flamboyance. Le père (Alain Françon), quant à lui, est glaçant de réalisme en militant FN, cynique, désabusé et condescendant.

Le film oscille entre fiction et documentaire, entre pièce de théâtre et vidéo amateure de vacances en famille. Le rendu est cependant très léché. Comme pour aller jusqu’au bout de l’impudeur, l’auteure filme au plus près des visages : des coins des yeux aux commissures des lèvres sèches. Elle alterne sans cesse entre gros plans et plans d’ensemble, comme un répondant au scénario : on se concentre sur l’individu mais il est indissociable de sa communauté dont il est héritier avec ou sans droit d’inventaire.

Ce qui est certain c’est qu’avec ADN , malgré un résultat mitigé, Maïwenn, ne triche pas et signe à nouveau une œuvre qui lui ressemble : un cocktail acidulé de névroses et d’humour, de ses tendres désordres. Elle s’explore et ne s’en cache pas, sans avoir peur de se mettre à nu et d’exposer autant la beauté que le pathétisme, en allant à nouveau titiller du côté d’une des plus grandes obsessions humaines: la quête de soi.

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ADN

Réalisé par Maïwenn , Mathieu Demy

Avec Maïwenn , Louis Garrel , Fanny Ardant , Omar Marwan , Marine Vatch

France, 2020

90 minutes

 

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