Débâcle (Het Smelt)
Le drame de toute une vie
Débâcle, de son titre original Het Smelt, est un drame flamand, actuellement dans les salles des cinémas néerlandophones1. Une première réalisation pour l’actrice Veerle Baetens. Adaptation du roman éponyme de Lize Spit, ce long-métrage s’attarde sur le passé, et sur les traces immuables qu’il peut laisser.
En 2016, l’autrice Lize Spit publie son premier roman intitulé Het Smelt, qui se vendra à plus de 250 000 exemplaires ! L’ouvrage est devenu un véritable phénomène littéraire en Flandre. Il est traduit en français en 2018 sous le titre de Débâcle, chez Actes Sud.
Fort de son succès, le roman est adapté cette année au cinéma par Veerle Baetens (véritable célébrité talentueuse), révélée grâce à son rôle dans Alabama Monroe de Felix Van Groeningen en 2013. Débâcle est son premier film derrière la caméra. Elle est aussi chanteuse.
Le long-métrage narre l’histoire d’une jeune adulte, Eva, jouée par Charlotte de Bruyne2 , qui vit dans un appartement bruxellois et travaille dans un studio de photographie. Une vie somme toute normale mais l’héroïne, d’emblée, semble torturée et mal dans sa peau.
Qui plus est, l’annonce du départ de sa sœur de son appartement – qui part emménager avec son compagnon – provoque en l’héroïne un déluge de sensations qu’on devine mais qui ne s'expriment pas sur son visage. Là repose toute la force du jeu d’actrice de Charlotte de Bruyne, qui, malgré tout ce qu’elle éprouve, reste de marbre. Elle se cache derrière des « ça va » et refuse tout sourire. Le film consiste en une succession de gros plans de son visage, impassible, cachant un traumatisme d’adolescente.
C’est comme si la caméra accompagnait partout la jeune femme dans son intimité, pour cerner la moindre réaction, la moindre émotion, mais rien n’y fait. Eva retourne alors dans son village d’enfance, dans la maison qu’elle a connue adolescente et qu’elle a eu envie de fuir à plusieurs reprises. La scène est forte : tout est resté à la même place, les souvenirs refont très certainement surface et se perdent dans un tourbillon d’émotions qui ne fait même pas lever un sourcil à la protagoniste. Elle passe la porte de sa chambre, rien n’a changé, son visage non plus.
Le spectateur n’est pas dupe. Il se doute que la tourmente de la jeune femme est plus incisive, plus ancrée, plus ancienne. Le sentiment de mal-être est là depuis longtemps déjà. Le traumatisme aussi. Et de fil en aiguille, ce ressenti se confirme.
Un film, deux temporalités
Débâcle offre deux temporalités : celle de la vie actuelle d’Eva et une série de flashbacks dans le village flamand de son enfance, lors d’un été caniculaire, au crépuscule de ses treize ans. À cette époque, elle formait, avec ses deux amis Tim et Laurens, un trio inséparable. Ils se surnommaient les trois mousquetaires.
Si les souvenirs paraissent agréables, ils sont loin de l’être. L’ambiance est pesante – la chaleur y est aussi pour quelque chose, on sent que la jeune fille éprouve déjà un certain mal-être. Et pour cause : la relation avec ses parents est difficile, entre une mère alcoolique qui daigne à peine lui donner de l’attention, et un père aux abonnés absents.
Eva souffre beaucoup de ce manque d’autorité bienveillante et tient énormément à sa relation avec Tim et Laurens. Mais cet été, tout va changer. L’heure est à l’adolescence et aux premiers émois sexuels. Les trois mousquetaires s’adonnent à des jeux plus osés, à l’instar d’Action ou vérité.
Ils inventent même un jeu où, si les filles ne trouvent pas la réponse, elles doivent enlever un vêtement. Le but de ce stratagème étant bien sûr pour Tim et Laurens de découvrir autre chose que leurs plaisirs solitaires. Eva, elle, cherche surtout à rester dans le collimateur de ses copains, bien qu’ils lui refusent toute attirance sexuelle, la délaissant de plus en plus.
Une énigme difficile
C’est d’ailleurs Eva qui a trouvé l’énigme indéchiffrable qu’ils adressent à toutes les filles acceptant de se prêter au jeu : « Un homme est retrouvé mort pendu, dans une pièce. Il y a juste une flaque d’eau en dessous de lui. Comment est-il-décédé ? »
Mais quelles sont les limites de ce jeu ? Jusqu’où le trio va-t-il aller ? Comment Eva va-t-elle supporter de voir ses amis fantasmer pour des filles plus jolies qu’elle ?
Certes l’énigme a un côté ludique et mais elle signifie plus pour Eva. C’est grâce à cette dernière qu’elle a pu rester dans le groupe des trois mousquetaires, que ses amis lui ont accordé de l’attention. Mais la devinette hante toujours le présent d’Eva.
Une fin inquiétante
Le spectateur le sait déjà : le dénouement du film n’est pas joyeux. Il observe, dans le présent, une héroïne encore traumatisée par les démons de son passé. Mais que s’est-il vraiment passé cet été-là ? Il s’inquiète pour la protagoniste.
Eva ne tient plus. Elle finit par se décider : elle va retourner dans son village natal pour mettre fin à son passé et se libérer de son trauma3.
Le retour au bercaille est calme, très calme. Les prises de vue du village sont moroses, la météo hivernale y est pour quelque chose. Tout semble désert, discret, taiseux. Comme si personne ne voulait se rappeler ce qu’il s’est passé cet été là.
La force de Débâcle réside dans l’atmosphère négative qui en émane. Dès le début du long-métrage, on sait que quelque chose ne tourne pas rond, que la protagoniste principale n’est pas heureuse : elle est très solitaire, répète mécaniquement ses journées, au gré de sa routine métro-boulot-dodo.
Hormis sa sœur, Eva ne voit personne, elle a coupé tout contact avec ses parents et elle parle à peine à son collègue de travail, qui en pince pour elle. Elle finira par accepter un rendez-vous amoureux avec ce dernier. Un échec cuisant. Après 5 minutes seulement, maladroite, irritée et brusque, Eva met fin à l’entrevue.
Même la candeur et l’insouciance de l’enfance d’Eva sont peu enviables. Entre l’incurie de parents négligents d’un côté, et la découverte de la sexualité de ses deux amis de l’autre, elle n’a aucune stabilité, aucun soutien. Sa santé mentale est fragile.
Au demeurant, Débâcle n’est autre qu’un reflet fidèle des différentes réalités qui nous sont inhérentes : les relations amicales, les relations parentales, la sexualité, la relation fille-garçon/homme-femme. Bien qu’elles soient universelles, elles sont insérées dans notre présent, dans notre réalité contemporaine. Ce qui rend le film fort, prégnant et interpellant. Il sensibilise et dénonce indirectement tous ces sujets contemporains qui ont traumatisé la pauvre Eva.