Don Juan, visit now! de la compagnie Théâtre en liberté prend le prétexte du mythe de Don Juan pour penser les rapports de genre… sans inclure le célèbre personnage, ou presque. Du 11 au 27 janvier au Théâtre des Martyrs.
La pièce s’ouvre sur trois hommes, devant le rideau de fer, tentant d’élaborer un discours critique sur Don Juan. Ils ont l’air peu sûr d’eux. Les spectateurs rient de leur malaise. Le projecteur qui les éclairait s’éteint progressivement, comme pour les faire taire. Ils repartent par la petite porte.
Le rideau s’ouvre ensuite sur une suggestion d’appartement. Un coin salon, une table à manger, une cuisine. Une femme qui lave le sol en chantant.
C’est dans ce loft qu’un collectif, trois hommes et sept femmes, se réunit pour réfléchir sur des questions de genre, de vivre ensemble. Comme on le comprend au fur et à mesure de la pièce, les contours (scénographiques et scénaristiques) sont flous et sont là pour suggérer : peu importe ce qu’est ce collectif exactement, l’important est leur cheminement.
Si, au début de la pièce, les hommes « mansplainent » et le collectif se divise en deux groupes femmes-hommes distincts, plus la pièce avance et plus la parole est horizontale et le groupe s’amalgame. Les personnages se questionnent, s’expliquent mutuellement des concepts féministes, partagent leurs expériences. Tout cela sur un ton assez léger et décalé. Le but n’est pas de faire une pièce didactique sur le féminisme, mais de le traiter de manière poétique, onirique, comme le suggèrent les corps qui dansent au fond de la pièce.
Et Don Juan dans tout ça ? Comme l’annonçait le début de la pièce, l'œuvre classique de Molière est considérée comme obsolète et se retrouve de manière assez anecdotique dans la pièce : quelques extraits sont joués par les comédiens, mais ils n’ont aucun rapport avec les scènes les précédant ou leurs succédant. Un choix assumé par le metteur en scène, Pascal Crochet :
« Ce spectacle pourrait être l’histoire de possibilités réjouissantes… Celles, pour un collectif de femmes et d’hommes, de ne plus trouver sens à l’écriture lointaine de Molière et d’inventer des façons de faire qui offrent l’espérance d’un vivre autrement égalitaire . » 1
La pièce est un joyeux collage, que ce soit de comédiens ‒ de tous âges et horizons ‒ mais aussi de média, comme souvent (trop souvent ?) dans le théâtre contemporain. Entre les différents tableaux, au fond de la scène, des corps dansent ; un écran diffuse des extraits d’un entretien avec une professeure de linguistique de l’ULB, des citations sont projetées sur les murs. Comme dit plus haut, il n’y a pas ici réellement un message, ni sur Don Juan (à part le fait qu’il est résolument dépassé), ni sur le féminisme ; ce qui compte est plutôt le plaisir de voir les personnages se libérer et se retrouver au fur et à mesure de la pièce. Le spectacle se clôt par les comédiens-danseurs s’appropriant tout l’espace de la scène ; une phrase qui résume bien la pièce est projetée sur le mur du fonds : « Ça craque de partout. »
Si Don Juan, Visit now! est cohérente avec l’intention du metteur en scène ‒ montrer que le mythe de Don Juan est incompatible avec notre époque en ne l’incluant tout simplement pas dans la pièce ‒ , il risque tout de même de perdre certains spectateurs venus pour une lecture critique du mythe. Quoi qu’il en soit, on passe un bon moment à se perdre avec ces personnages en questionnements, et l’on se réjouit que cela « craque de partout ».