Pour terminer 2018 en beauté, La Monnaie propose Don Pasquale (1843), un des tout derniers opera buffa de Gaetano Donizetti, sur un livret écrit par le compositeur lui-même avec Giovanni Ruffini. Un premier pas vers la comédie noire sur fond de conflit générationnel.
Avant de parler de l’œuvre, il faut parler du lieu. La salle bruxelloise avait fermé temporairement ses portes de 2015 à 2017, le temps de se refaire une beauté. J’y étais déjà retournée en juin dernier, mais c’est lors de la première de Don Pasquale , assise dans le parterre, que j’ai pu en prendre plein les yeux en regardant au-dessus de moi : le plafond, d’abord, magnifique avec ses fresques ; puis le lustre imposant et la chaleur qui se dégage des dorures ; le rouge profond des sièges enfin. Si rien que prendre place sur un des fauteuils est une expérience en soi, je n’ose pas imaginer le sentiment que les chanteurs doivent éprouver sur scène.
Don Pasquale est un homme âgé vivant dans son (tout) petit monde. Assis sur son fauteuil, il râle sur son neveu Ernesto, qui n’a pas voulu du mariage arrangé par son oncle pour assurer sa succession. Simplement parce qu’Ernesto est amoureux de Norina, une jeune veuve un peu désabusée niveau amour, comme elle le chante dans sa cavatine , en rigolant d’un roman à l’eau de rose. Don Pasquale charge alors son « ami », le docteur Malatesta, de lui trouver une épouse.
Le docteur : Âme innocente, ingénue, qui s’ignore elle-même, modestie incomparable, bonté qui vous rend amoureux, compatissante aux miséreux, noble, douce, amoureuse, le ciel l’a fait naître pour rendre un cœur heureux.
En clair, une femme qui ne s’en prendrait pas à son argent et dont il n’aurait pas trop à se soucier. Le docteur lui explique que sa sœur, sortant du couvent, est disposée à épouser le vieil homme. Quand Don Pasquale annonce la nouvelle du mariage à Ernesto, celui-ci est dévasté : son oncle le déshérite et en plus le met à la porte. Le jeune homme se traîne en pyjama, erre, fait ses bagages en pleurant. Sauf que Malatesta veut jouer un tour à son patient : Norina se fera passer pour Sofronia, la future épouse. Une fois Don Pasquale conquis et le mariage (factice) signé, Norina deviendra infecte, renversant littéralement le monde du pauvre homme. Tout cela pour que Don Pasquale reprenne Ernesto chez lui et lui garantisse sa fortune. Le soir, Norina se prépare à sortir au théâtre. Son vieux mari essaie de la retenir, mais elle le gifle et s’en va en laissant tomber une lettre de son amant (qui est en fait Ernesto). Malatesta et Don Pasquale décident de la prendre en flagrant délit pour pouvoir divorcer, sauf qu’une fois sur place, Norina fait semblant de rien. Malatesta, auquel Don Pasquale a donné carte blanche, annonce à Norina que la fiancée d’Ernesto (donc elle-même) va venir s’installer dès le lendemain dans la maison. Norina pique une crise et hurle qu’elle préfère s’en aller. Un arrangement est fait avec le pauvre et épuisé Don Pasquale : Ernesto et Norina vont se marier et bénéficieront d’une donation. Malatesta avoue alors la vérité au vieil homme : il voulait juste lui faire passer l’envie de se marier. Et Norina de conclure : « Bien idiot est celui qui se marie en grand âge, oui ; il cherchera à tout prix, en quantité, douleurs et ennuis. »
L’histoire est vraiment tordue : ce n’est en effet pas très drôle de se moquer d’un vieil homme « avare, crédule et obstiné » comme il est décrit dans le livret. On peut comprendre l’intention du docteur, qui s’est peut-être retrouvé face à un homme tellement têtu qu’il en vient à n’écouter personne. On peut comprendre aussi que Norina cache une grande blessure amoureuse (puisqu’elle est veuve) derrière un tempérament de feu et une soif de vengeance. Mais en arriver à renverser complètement le monde de Don Pasquale, au propre comme au figuré – après l’entracte, sa maison est sens-dessus-dessous, avec le fauteuil au plafond et les portes en guise de fenêtres – et surtout à le gifler, c’est plutôt violent. On peut alors s’imaginer bien des situations familiales compliquées, des conflits que le texte laisse sous-entendre, et que Laurent Pelly, le metteur en scène, a probablement voulu souligner en opposant un petit vieux bougon à son neveu qui passe ses journées en pyjama, tranquillement entretenu par son oncle. Et peut-être que la morale chantée par Norina fait référence à son propre passé amoureux, qui sait ?
Cependant, cette production est très drôle car le jeu d’acteur est ici totalement mis en avant, à travers un texte moderne, en accentuant terriblement les stéréotypes de caractère et de physique des personnages ; on voit d’ailleurs très bien que les chanteurs prennent beaucoup de plaisir à les interpréter. On compatit pour Don Pasquale, on rit des frasques de Norina comme épouse dépensière et odieuse. Le décor, aussi, perd petit à petit sa place de simple cadre spatial pour devenir un outil de jeu à part entière.
Si parfois la fin d’année est difficile et qu’on a envie de tourner le dos aux problèmes, voir comment cette famille règle les siens permet de relativiser en riant un bon coup.