Fils de bâtard
Parlons de toi, Maman
Avec Fils de bâtard, Emmanuel De Candido égale le très acclamé Pourquoi Jessica a-t-elle quitté Brandon ? et nous offre un chef-d'œuvre qui allie rage et tendresse, humour et amour (maternel et filial). À voir au Théâtre de Poche jusqu’au 26 février.
Après La Ronde flamboyante présenté au Théâtre des Martyrs la saison dernière, Emmanuel De Candido, membre de la Compagnie MAPS aux côtés de Stéphanie Mangez et Olivier Lenel (qui l’assiste à la mise en scène ici), signe un nouveau texte intime, drôle et bouleversant. Le metteur en scène, dramaturge et comédien narre dans Fils de bâtard (au premier abord) le résultat de sept années de recherches sur son père, absent durant la plus grande partie de sa vie. Né de père inconnu, Emmanuel De Candido (Manu dans le spectacle) est, selon l’expression belge, un bâtard. Il a ainsi voulu retourner sur les traces de son géniteur (surnommé le Colonel Bison) et des milles vies que celui-ci a menées, du Congo à l’Antarctique en passant par la Belgique et la Libye. C’est finalement l’histoire de sa mère Elena, l’unique parent présent, celle qui l’a élevé toute seule, que le comédien va raconter.
Est-ce qu’on peut recommencer ?
C’est dans une adresse directe avec ce public, sans quatrième mur, que fonctionne le spectacle, un terrain de jeu particulièrement apprécié par la Compagnie MAPS et qu’Emmanuel De Candido manie avec brio. Dans une volonté de lien avec les spectateur·ices, les différents projets de la compagnie se concentrent en effet généralement sur cette renégociation de l’espace entre le plateau et le public. Dès l’entrée en salle, le comédien discute avec les personnes qui s’installent face à lui, établit un connexion avec elles. Lors d'une des représentations à laquelle j'ai pu assister, c’est en souhaitant un joyeux anniversaire à un des élèves du groupe scolaire situé au premier rang que la pièce a démarré (ce que Manu a subtilement référencé durant le spectacle). Un détail qui pourrait paraître anodin mais qui permet de rendre l’expérience théâtrale unique et qui instaure un sentiment de réciprocité entre l’acteur et les spectateur·ices.
Toujours dans cette renégociation de l’espace théâtral, la régie est installée directement sur le plateau, intégrée à la scénographie (conçue par Sarah De Battice). Toute la technique est visible. Un élément déjà présent dans les deux précédents projets de la compagnie (Pourquoi Jessica a-t-elle quitté Brandon ? et La Ronde flamboyante). Côté cour, se trouve Clément Papin à la régie lumières et plateau. Côté jardin, Orphise Labarde au son et à la musique. Les moments où elle dégaine sa guitare et donne de sa voix créent de très belles séquences musicales composées par François Sauveur et Pierre Constant. Les leitmotivs qu’ils ont écrits accompagnent parfaitement le texte et la narration rythmée de Manu. Mention spéciale à la scène de slam à couper le souffle. Au centre du plateau, prend place un grand plateau blanc qui remonte pour former une sorte de rampe de skateboard vers l’arrière de la scène. Sur l’avant du plateau, Emmanuel vient disposer une table et deux chaises en formica gris. Ce plateau blanc devient une carte vierge sur laquelle le comédien vient cartographier son périple, plaçant une chaise au Nord ou à l’Est au fil de ses destinations.
« Ne parle pas de moi dans ton spectacle. Ça n’intéresse personne. »
―Elena, à son fils Manu
Grâce à ce voyage sur les traces du Colonel Bison, Emmanuel De Candido pensait comprendre ce que son père lui a transmis et ce que lui-même pourra transmettre à son fils (à qui il dédie le spectacle). C’est finalement ce que sa mère lui a apporté qui illumine sa quête d’identité et de filiation. Partant d’une enquête sur la vie mystérieuse et chaotique de son père, le spectacle se transforme en une ode poignante à sa maman et à la force de toutes les mères célibataires souvent oubliées, jugées et discriminées dans notre société patriarcale. Comme dans Pourquoi Jessica a-t-elle quitté Brandon ?, le mélange entre théâtre documentaire et performance (incluant une scène de mime très touchante) fonctionne à merveille, créant un objet artistique captivant. Fils de bâtard est un bijou émouvant et original à découvrir au Théâtre de Poche jusqu’au 26 février (avec les prolongations !).