critique &
création culturelle

Hikidashi

Un tiroir à souvenirs

Cette année, le théâtre des Martyrs clôt sa saison 23-24 avec le spectacle Hikidashi qui aborde la relation manquée de la metteuse en scène et chorégraphe, Uiko Watanabe, à son père. Une performance scénique, mêlant danse, texte et musique, et qui s’inscrit comme une confession intime, remplie d’autodérision.

Au Japon, un tiroir est un endroit intime, un lieu dans lequel on peut ranger des choses, les mettre à l’abri, voire les cacher, mais qui peut aussi être dérangé quand on le veut. Uiko Watanabe, metteuse en scène, chorégraphe et interprète de ce projet, transpose cette image à celle du souvenir et utilise cette symbolique pour construire son spectacle. Hikidashi veut d’ailleurs dire « tiroir » en japonais. Dans cette création, elle se confie sur sa relation à son père, et son lot de souvenirs, d’attentes, de fantasmes, et de blessures.

« Je ne l’ai jamais vu pratiquer le Kendo, et il ne m’a jamais vue danser. »

Ce spectacle est une succession fluide de différents tableaux débutant chacun par quelques phrases narrées par une voix-off, la voix intérieure adulte de Uiko. Un lien complice se tisse alors entre les spectateurs et ce qui se déroule sur scène, puisqu’à travers ces répliques teintées d'autodérision, Uiko partage très intimement la manière dont elle a vécu, et vit encore aujourd’hui, cette histoire manquée à son père.

©Jean-Louis Boccard

Les spectateurs sont invités dans un monde intérieur très personnel, à la fois touchant et amusant, parfois véritablement loufoque. Sur scène, Uiko est accompagnée d’un comédien, Lode Thiery qui joue différentes images de son père : ce dont Uiko se souvient, ce qu’elle aurait aimé de lui, et ce qu’elle projette sur ce lien ainsi que les conséquences que ça a pu engendrer dans ses relations actuelles avec les hommes. Au début de la représentation, Lode Thiery enfile d’ailleurs un masque de caméléon, un geste cocasse qui symbolise le personnage polymorphe qu’il va interpréter durant toute la pièce.

La scène est également partagée avec la musicienne Sarah Wéry. À l'aide de son violoncelle, d’installations sonores électroniques ou percussives et de sa voix, elle accompagne et répond à ce qui se déroule sur scène. Ses créations s’inspirent de musique japonaise traditionnelle ou pop et ont pour objectif d’accompagner les mouvements et de dynamiser le spectacle.

Le plateau est un lieu de passage, hors-temps, dans lequel prennent place différents souvenirs et différents rêves où le symbole a plus d’importance que la vérité. Dans le même sens, les objets qui s’y trouvent aussi. Uiko transforme par exemple l’armoire à tiroirs présente au début du spectacle en un chariot ou encore en une baignoire, et ce jeu avec les éléments du décor invite également le spectateur au registre de l’imaginaire.

© Jean-Louis Boccard

À la fin du spectacle, Uiko Watanabe s’exprime dans un solo corporel influencé directement du mouvement du buto, originaire du Japon. Cette discipline est caractérisée par une danse corps nu, des mouvements lents et minimalistes. Il en ressort souvent une grande poésie dans les mouvements car c’est l’expression d’une introspection. Dans son cas, Uiko nous exprime ses sensations intimes et personnelles, sa lutte avec elle-même, dans l’attente d’une relation avec son père.

À la fois drôle et touchant, Hikidashi est un spectacle très personnel, autant sur le sujet qu’il traite que la manière dont il est mis en scène. Il éveille à la difficulté de manquer d’un père, mais fait sourire grâce à son autodérision. Il nous fait rencontrer l’univers poétique de Uiko Watanabe et au final un peu de qui elle est..

© Jean-Louis Boccard
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Hikidashi

Chorégraphie & mise en scène : Uiko Watanabe
Création & interprétation : Lode Thiery, Uiko Watanabe, Sarah Wéry
Scénographie : N.N.
Voix off : Estelle Marion
Création sonore & composition : Sarah Wéry
Lumières : Eric Castex
Régie : Matthieu Kaempfer
Assistante régie son : Barbara Juniot
Costumes : Sachiyo Honda

Vu aux Martyrs le 15 juin 2024.

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