critique &
création culturelle
Il faut flinguer Ramirez de Nicolas Petrimaux
ou la vie peu tranquille du meilleur réparateur d’aspirateurs de l’Arizona

Nicolas Petrimaux propose une bande dessinée d’action palpitante à l’humour décalé, orchestrant la rencontre entre l’univers violent des cartels et celui, merveilleux, des aspirateurs de la compagnie ROBOTOP.

Une veille de week-end d’octobre 1987, Falcon City, Arizona. Jacques Ramirez travaille comme tous les jours au service après-vente de la ROBOTOP, l’entreprise dominante dans le marché de l’aspirateur domestique. Jacques est tout simplement le meilleur : il vous répare un AV 700 les yeux bandés et sans dire un mot, puisque Jacques est muet comme une tombe. Le seul problème, c’est qu’il va croiser la route des hommes de main de Hector Rodriguez, le parrain d’un dangereux cartel de la ville mexicaine de Paso del Rio. Ceux-ci croient reconnaître en lui Ramirez, le tueur à gage impitoyable et très discret travaillant pour Hector, qu’il aurait récemment trahi. Commence alors une course-poursuite digne des plus grands (ou kitsch) films d’action des années 80, du style de L’arme fatale . Un terrible effet boule de neige qui rendra presque fou Eddy Vox, « le flic le plus malchanceux d’Amérique », et qui donnera un nouveau souffle à la cavale aux airs de Thelma et Louise de Chelsea Tyler, vedette de cinéma, et de son acolyte Dakota Smith. Comment Jacques va-t-il se sortir de ce bourbier ?

Véritable épopée graphique, Il faut flinguer Ramirez est à prendre comme un film d’action américain des années 80 (et si je peux conseiller une bande originale pour accompagner la lecture, je trouve que celle de Thelma et Louise colle assez bien à l’ambiance et au décor aride de l’histoire). En effet, Nicolas Petrimaux ne se cache absolument pas d’avoir été inspiré par les techniques narratives et divers univers visuels sortis tout droit du grand écran, s’amusant dans sa jeunesse à refilmer à sa sauce Retour vers le futur , Point Break ou encore Le cinquième élément , mais également issus des mangas et du jeu vidéo, auquel il consacre sa carrière après des études en arts appliqués. Il est dès lors difficile de déceler un héritage de la bande dessinée franco-belge dans son style de dessin ou de découpage. Peut-être peut-on relier le mystère planant autour de la vie et de la famille de Jacques à celui de personnages tels que Thorgal (Rosinski) ou XIII (Van Hamme). En fait, il me semble qu’une influence des comics US transparaît dans la technique de Petrimaux, ce qui correspond à sa passion pour la culture visuelle populaire américaine. Cela se retrouve dans une émancipation quasi-totale du gaufrier1 qui nous plonge dans le réalisme, dans les thèmes abordés (la route, la rivalité entre les Américains et les Mexicains, par exemple), dans les personnages presque caricaturaux (les mafieux sanguinaires, le flic plus préoccupé par son sens de la répartie et du bon mot que par le fait de se dépêcher pour arrêter les criminels), dans l’humour parfois violent à la Tarantino qu’on aurait un peu adouci, dans la saturation des couleurs (tout est dessiné sur ordinateur) ou encore dans le rythme de la narration.

L’auteur nous transporte d’un personnage à un autre et d’un rebondissement à un autre tout en maintenant un suspense qui voudrait nous faire tourner les pages plus vite pour suivre le tempo de l’action… Mais cela serait impossible sans perdre plusieurs dimensions du récit. Car au-delà de l’histoire, Petrimaux explore les possibilités et la liberté offertes par le format de la bande dessinée, chaque épisode étant une œuvre d’art en soi. Entre autres surprises, les pages sont entrecoupées de publicités pour des produits issus de l’univers d’ Il faut flinguer Ramirez , truffées d’humour et de petits éléments qui renforcent la parodie et influencent même le comportement des protagonistes. Ces publicités et magazines people ont un double objectif : non contents de faire rire le lecteur, ils servent à dénoncer la société de consommation américaine en utilisant l’absurde pour critiquer les entreprises (aux airs presque sectaires) comme Apple qui se basent sur les codes du star system pour vendre leurs produits. J’en veux pour preuve la conférence de presse du Vacuumizer 2000 : retransmise en direct à la télévision, les habitants de Falcon City se pressent dans les bars pour admirer la nouvelle merveille technologique de la ROBOTOP, tout matraqués qu’ils sont par les techniques de communication sournoises de la compagnie.


Le souci du détail, la maîtrise du genre et de la technique, l’humour bien dosé et aiguisé font d’ Il faut flinguer Ramirez une bande dessinée palpitante et passionnante, dont l’épisode final sortira… bientôt ? Petrimaux s’est récemment exprimé à ce propos, pointant du doigt l’impatience des fans de la série :

Certains.es l’auront sans doute relevé, mais derrière les aventures du meilleur expert en aspirateur de tous les temps, se dessine une vision « légèrement » critique sur notre monde, nos modes de consommations excessives etc… À tel point qu’on en oublierait presque que les albums d’ Il faut flinguer Ramirez sont, eux aussi, des produits de consommations [sic]. Si on prend un peu de recul vis à vis de ça, de nos comportements, de Netflix, Amazon, OCS et j’en passe… c’est de voir à quel point nos attentes deviennent de plus en plus strictes, et que nos façons de consommer ces produits sont devenues un peu folles. On dévore, on bouffe, on « binge », on regarde en x1,5.  […] Je vous le jure, sur la tête de mes 23 kg de patates fièrement récoltées cette année, que j’ignore combien de temps cela me prendra pour accomplir ce que j’ai en tête et pour mener à bien cette histoire d’aspirateur, mais je ne travaillerai sur rien d’autre jusqu’à ce que le récit ne soit complet et publié. L’attente va être longue, c’est certain, ça va râler, ça va chouiner un peu, ça va dire des conneries sur les forums… mais peu importe, car cher.e.s ami.e.s, [Breaking news]… les trucs bien fait, ça prend du temps.

Ce qui laisse assez de répit au lecteur pour être attentif à chaque détail et pour observer les différents niveaux de lecture : l’histoire en elle-même, la critique de la société ou encore le style de dessin. Mais je dois bien avouer que j’ai hâte de tenir l’épisode 3 entre mes mains !

Même rédacteur·ice :

Il faut flinguer Ramirez

de Nicolas Petrimaux

Tomes 1 & 2

Glénat, 2018 & 2020

144 & 192 pages