Dans le cadre du VOO RIRE – Festival international du rire de Liège, l’Opéra royal de Wallonie-Liège présente une production d’un des plus grands triomphes de l’opéra-bouffe 1 . Créé à Vienne en 1792, cet opéra de Domenico Cimarosa avait été bissé dans son entièreté lors de sa première devant l’empereur Léopold II. Son succès n’a pas faibli depuis.
Notre histoire débute derrière un paravent. Paolino et Carolina se sont mariés à l’insu de la famille de la jeune fille, car dans la société bourgeoise du XVIII e siècle, aucun mariage ne contourne la grande question de l’argent – ou plutôt du profit. Un bon mariage reste avant tout une bonne affaire.
Paolino a un peu peur d’aller en parler à son beau-père, Geronimo, qui est également son patron. En effet, Geronimo voudrait que ses deux filles épousent des nobles afin qu’elles portent des titres. Paolino arrange alors un mariage entre Elisetta, l’aînée de Carolina, et un certain comte Robinson. Au moins une des deux sœurs sera comtesse ; ainsi l’union de Carolina et Paolino ne posera aucun problème au vieux père vaniteux.
Sauf qu’à peine arrivé chez Geronimo, le comte n’est pas franchement emballé par le physique un peu difficile d’Elisetta et lui préfère Carolina, qui tente tant bien que mal de repousser ses avances. En plus de cela, la sœur de Geronimo, Fidalma, a jeté son dévolu sur Paolino, qu’elle tente de séduire par tous les moyens. Cerise sur le gâteau, Geronimo est sourd comme un pot et ne comprend rien à rien ; il n’y voit que l’argent qu’il pourra tirer de cette affaire.
À cet imbroglio s’ajoute un déchaînement des passions : Elisetta jalouse, le comte fougueux, Paolino en panique… heureusement, puisqu’ Il Matrimonio segreto est un dramma giocoso , tout est bien qui finit bien : après avoir échappé à des situations plus tordues les unes que les autres, Paolino et Carolina révèlent leur union et le comte, traversé par un éclair de lucidité, décide d’épouser Elisetta.
Le livret, écrit par Giovanni Bertati, se base sur une pièce de théâtre anglaise elle-même inspirée d’une série de tableaux ( Mariage à la mode de W. Hogarth) datant de la moitié du XVIII e siècle. L’intrigue, liée à la mise en scène de Stefano Mazzonis di Pralafera (directeur général et artistique de l’ORW), fait écho aux pièces de Molière : on y retrouve du comique de situation du fait des nombreuses confusions liées à la surdité de Geronimo ou au secret de Paolino et Carolina, ainsi qu’un comique de caractère. Les personnages ultra-stéréotypés font penser à ceux de la commedia dell’arte : le vieil avare, le jeune homme un peu gauche (Paolino qui n’ose pas parler à son beau-père), la tante vieille fille qui s’y connaît mieux que tout le monde en amour, la jeune bourgeoise hautaine et orgueilleuse, le noble chaud lapin, etc. Mazzonis semble avoir ajouté quelques traits à la Louis de Funès dans le jeu de Geronimo (par exemple quand, dans Oscar (Édouard Molinaro, 1967), de Funès cajole sa mallette ou encore quand il demande à Yves Montand (son Blaise dans la Folie des grandeurs de Gérard Oury, 1971) de plier les genoux car enfin un serviteur ne peut pas être plus grand que son maître !). Les costumes, aussi, accentuent les caractères et le ridicule des personnages. Geronimo ne voit plus ses pieds sous son ventre et les corsets sont serrés presque au point d’exploser. Le maquillage ajoute encore au ridicule, avec les fards et les attributs en latex d’Elisetta. L’humour est véritablement présent partout, car on le retrouve dans le texte et dans la musique – surtout dans le chant, en fait. Paolino qui bâille dans une vocalise, Carolina qui en pousse une de surprise. La notion d’honneur, quant à elle, est centrale dans les émotions. Par exemple, Elisetta ne se laisse pas faire quand elle comprend que le comte n’est pas intéressé ; elle se bat pour que son mariage ait lieu parce qu’elle se prend déjà pour une comtesse, usant de ses manières.
Stefano Mazzonis et Jean-Guy Lecat ont pensé cette production dans l’esprit du XVIII e siècle. Cela se voit dès l’ouverture, quand deux laquais viennent allumer les lanternes à l’avant-scène. Les décors sont plutôt simples et en cela efficaces, mais rien de phénoménal. Les lumières se révèlent quant à elles bien utilisées ; en bref, la production fonctionne bien. La musique de Cimarosa rappelle celle de son contemporain Mozart : elle est certes moins profonde mais elle est dynamique, remplie de mélodies délicieuses. Les petites « surprises » comiques (et parfois émotionnelles) font beaucoup de bien aux oreilles. C’est un opéra agréable, qui laisse le spectateur entrer pleinement dans l’intrigue.
Quant au jeu d’acteur, il est d’une justesse incroyable : aucun chanteur n’en fait ni trop ni trop peu – j’émets juste une petite réserve pour le comte (Mario Cassi) qui parfois est un peu mou. Annunziata Vestri est idéale dans le rôle de la tante, Patrick Delcour hilarant en Geronimo. La voix aiguë de Céline Mellon convient parfaitement à la révolte de Carolina. Matteo Falcier est nickel en Paolino. Mais celle qui pour moi sort complètement du lot, c’est Sophie Junker dans le rôle d’Elisetta. J’ai beaucoup aimé son timbre de voix, très à propos. Sa manière de se déplacer, aussi, qui rappelle celle des vilaines sœurs de Cendrillon dans la version de Disney. Le point fort de cette production est donc incontestablement son casting.