critique &
création culturelle

Johnny Jane

Dandy pop-rock poétique

Spleenétique et joyeux, pop-rock et électro, Attitude(s) est un album panaché qui sent bon la French Touch. Johnny Jane nous y balade dans des titres rock à la fois doux et intenses, où il dévoile un peu de lui et un peu de nous. Retour sur la performance (fleg)magnétique d’une étoile montante de la pop-rock française lors des Nuits Botanique.

S’il y a bien un artiste qu’on se faisait une fête de découvrir sur scène aux Nuits Botanique ce mardi 29 avril, c’est Johnny Jane. Avec la sortie de son dernier album Attitude(s) en avril 2024, le chanteur pop d’Orleans (155.000 auditeurs mensuels sur Spotify en mai 2024) avait rappelé à notre bon souvenir les raccourcis vers le bouton « cœur » et la touche « repeat ». Un album teinté d’influences diverses, entre pop-rock hypersensible et électro aux accents très French Touch, le tout joyeusement spleenétique.

Perfecto noir, cheveux blonds ébouriffés et moue boudeuse, Johnny Jane arrive sous le Chapiteau avec la dégaine d’une rock star d’une autre époque. Peut-être que son nom de scène, emprunté à la Ballade de Gainsbourg écrite pour Jane B., vous aura donné le ton. Artiste polyvalent, kid du rock français à la voix nonchalante mais caractérielle , coup de cœur de la rédac de Konbini ou talentueux chanteur multi-instrumentiste selon Libé, autant d’attributs élogieux pour qualifier ce caméléon autoproclamé qui enfile des masques (voyez vous-même la cover d’Attitude(s)1) et métamorphose son identité musicale de projet en projet.

Mais qui est vraiment Johnny Jane ? Difficile de cerner toute l’ampleur du phénomène mais on va tenter de regarder discrètement derrière le masque… Emile de son vrai nom - ou @johnnyjanejtm pour sa fan-base Instagram –, est un auteur-compositeur- interprète originaire d’Orléans qui a fait un passage express à l’École des Beaux-Arts à Bruxelles avant d’atterrir à Paris. Sur le plan stylistique, il est traversé d’influences multiples et c’est peu de le dire. Du rap dans ses premiers micro-albums où il se sentait moins crédible, à une pop rock énergisante à la Strokes (instrumentation « années 2000 »), en passant par les grands noms de la chanson française ou la musique classique, Johnny Jane se ballade dans des univers musicaux variés qu’il explore au gré de sa curiosité. Ce qui lui vaut un style à la fois singulier et libéré, qui ne cesse d’évoluer.

Pianiste de formation, vous remarquerez son mélodisme à la construction de ses morceaux, et plus particulièrement sur les titres plus mélancoliques de son dernier album Attitude(s), produit au Motorbass Studio, traversé d’une joyeuse nostalgie et d’intermèdes au clavier qui donnent du relief à l’ensemble. Simples et bruts, ses textes racontent de manière intime un vécu gorgé de sincérité dans lequel il est facile de s’identifier. Des chagrins douloureux aux amours impossibles (« Plus rien à perdre »), de l’addiction aux excès (« Normal »), des pensées noires au goût de la fête (« Attitude »), du poids de la solitude face à sa propre souffrance et de la peur de décevoir ou de ne pas réussir trouver sa place (« 1998 »), Johnny Jane chante le spleen de notre ère sans ambages. L’écriture est son exutoire. Si les thèmes abordés peuvent sembler franchement déprimants, c’est sur des airs souvent extrêmement upbeat qu’ils sont amenés. On vous met donc au défi de ne pas danser sur « Normal » (même si vous l’écoutez un lundi matin, pluvieux, au bureau).

Les treize morceaux sont diversifiés, chantent « l’intimité cachée par nos apparences » avec profondeur, douceur et ironie. Il y dévoile toutes ses facettes, un peu d’Emile et un peu de Johnny. On a été touché par ses paroles, sa voix grave aux effets vocoder et l’orgue Fender Rhodes qui traverse cet album bien équilibré, entre énergie et sensibilité, qui trône désormais au rang de nos classiques qui ne prennent pas la poussière.

Mais retour sous le Chapiteau et aux Nuits Bota, sans transition. Avec une apparente décontraction, l’artiste fait une entrée solennelle sur « Les lois de l’univers », premier titre d’Attitude(s), aux sonorités plutôt sombres (« je vois mes rêves qui s’éteignent des nuits déjà ») avec une intro au clavier assez dramatique inspirée par deux monuments que quelques siècles séparent, aka Bach et le « Que je t’aime » (de l’autre Johnny). Toute l’attention de la salle est portée sur cette tignasse blonde qui reste encore assez statique, éclairée par une lumière bleue Klein.

Les premières notes de « Missiles », (tiré de son EP Désordres) entamées par sa guitariste Charlotte, distillent ensuite une énergie plus dynamique sous la grande tente blanche. Et sa guitare bleue turquoise rappelle bien sûr la cover de l’album Attitude(s), couleur choisie en clin d'œil à celle de l'album de Melody Nelson de Gainsbourg. Comme si rien n’était laissé au hasard.

Si Johnny débute le concert avec une légère timidité, elle s’évapore complètement au troisième titre de la setlist. L’atmosphère s’adoucit sur « Bbye » aux chœurs satinés qui insufflent immédiatement un vent de fraîcheur sous la toile. Converse noire posée sur un baffle, tout dans Johnny est nonchalance ; une attitude très rockstar qui ne le quittera pas de toute de la durée du show.

Il s’active ensuite sur un de nos coups de cœur de son dernier album, « Attitude », cadré par une guitare nerveuse, omniprésente. Et le public se réchauffe, vraiment. Ça sautille et ça crie les paroles – qui sont, certes, plus difficiles à oublier qu’à mémoriser – du devant de la scène au fond du Chapiteau, toutes générations confondues. C’est ça qui est beau aussi avec la chanson française, cet effet liant intergénérationnel.

S’enchaînent ensuite le très délicat titre « Justine » (où il chante un amour révolu aux yeux bleus marines) et « Dans mon corps » (tiré de son EP Désordres, au refrain addictif) qui font planer tendresse et mélancolie à l’intérieure de la salle. Vient ensuite « Kleenex » (son tube, qui frôle les 2M d’écoutes sur Spotify) qu’il commence en tapotant du micro pour donner le rythme. Regards croisés avec Charlotte qui assure à la guitare. Et ça y est, le public est en sueur et on vous confirme qu’une fois encore, les paroles sont bien assimilées. Il exprime toute la noirceur de son âme avec « 1998 » pour une minime régression dans l’ascendance énergétique de la nuit et culmine avec une magnifique interprétation de « Normal », très beau point final de ce show imprégné d’énergies diverses – à son image.

Et parce que les étoiles étaient apparemment bien alignées, on le croise à la toute fin de la soirée à l’entrée du Botanique, avec ses lunettes carrées, bombardé aux selfies. On se retient d’immortaliser le moment mais on lui glisse au passage nos meilleurs compliments, qu’il reçoit avec beaucoup d’humilité.

Alors, au cas où vous ne l’auriez pas encore écouté, on vous recommande vivement de garder Johnny J. dans vos radars, surtout si vous aimez Julian Casablancas et avez une folle envie de surfer sur la nouvelle vague de chanson française cet été. Bonus si vous n’êtes pas contre un détour par la capitale parisienne, il jouera à l’Olympia le 10 octobre prochain.

Même rédacteur·ice :

Attitude(s)

de Johnny Jane
Sony Music Entertainment France S.A.S., 2024
37 minutes

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