Le théâtre Olympia de Valencia (Espagne) accueille la comédie musicale La Familia Addams pour un mois. En deux heures, les personnages remettent le concept de « normalité » en question, sur fond d’histoires d’amour.
Au beau milieu de nulle part, là où ne devrait se trouver aucune autre demeure qu’un cimetière, se dresse le manoir lugubre de la Famille Addams. Née dans les années 1940 sous le crayon de Charles Addams, auteur de bande dessinée américain, cette famille spéciale a rencontré le succès grâce à la série télévisée éponyme de 1964 à 1966. Le film La Famille Addams de Barry Sonnenfeld, sorti en 1991, n’a fait que renforcer sa popularité en renouvelant l’image de la famille, lui donnant forme humaine. Le ton est donné dès les premières minutes du film : Gómez, éperdument amoureux de sa femme Morticia, lui demande si elle est malheureuse .
Et Morticia est très, très malheureuse, ce qui signifie en vérité qu’elle est au comble du bonheur. Car chez les Addams, comme il est écrit dans la présentation de la comédie musicale (Brickman & Elice, 2009), « être triste signifie être heureux, l’inconscience est synonyme de sagesse, la douleur est ressentie comme de la joie, toute imprudence est prudente, et la mort et la souffrance sont l’étoffe de leurs rêves ».
Le rideau s’ouvre sur la famille au grand complet, par un soir d’automne. Chaque année, ils se rendent sous un arbre solitaire pour réveiller les morts et faire une grande fête. Mais cette fois-ci, il y a du changement : Mercredi est amoureuse d’un garçon normal , Lucas Beineke, qui l’a demandée en mariage. Avant de lui donner sa réponse, Mercredi décide d’inviter les Beineke pour la soirée, afin de voir si la fusion des deux familles pourrait être une réussite. Gómez est mis au courant par sa fille, et lui promet d’essayer d’être normal , lui aussi. Morticia flaire un mauvais coup et propose un jeu : celui de la Vérité. Les participants doivent, tour à tour, avouer quelque chose qu’ils ont caché aux autres. Le frère de Mercredi, Pugsley, par peur de perdre sa sœur, vole un filtre de vérité à sa grand-mère pour que Mercredi révèle ses plans et soit stoppée par Morticia. Mais la potion se retrouve par inadvertance dans le verre d’Alice, la mère de Lucas, qui monte sur la table et crie son insatisfaction sexuelle devant l’assemblée réunie.
D’ailleurs, si un érotisme certain se ressent dans le film de 1991, il se fait plus discret sur scène. Peut-être parce que le musical est un genre un peu plus familial. Cependant, il est lisible dans le langage non-verbal des personnages. Une scène en particulier m’a fait penser au Rocky Horror Picture Show : dans cette comédie musicale débridée, un couple, Brad et Janet, crève un pneu en pleine nuit, juste devant un grand manoir sombre et étrange. À l’intérieur vit le Docteur Frank-N-Furter, un extraterrestre bisexuel. À l’aide d’une créature parfaite (c’est-à-dire, toute en muscles) issue tout droit de son laboratoire, il va les aider à découvrir leur sexualité ; en un mot, les dévergonder . Après avoir côtoyé les Addams, le couple Beineke retrouve l’harmonie totale de ses débuts. C’est là que se cache la particularité des Addams : les gens changent à leurs côtés, quand ils sont confrontés à l’ anormalité , au bizarre, au dérangeant. Ce changement, contrairement aux intentions du Docteur Frank-N-Furter, n’est pas voulu par les Addams. Il survient spontanément. Par exemple, dans le film de 1991, une femme complètement normale , de prime abord effrayée par le Cousin Machin (un petit homme entièrement recouvert de longs poils et cheveux — ce qui induit la possibilité d’une branche Wookie dans la famille), tombe très vite sous son charme. Accepter la vraie nature de l’autre nous permet de changer, en regardant les choses sous une autre perspective.
La pièce en elle-même est d’une superbe qualité : les chanteurs sont excellents, l’ambiance glauque à souhait. Même les mouvements des décors sont chorégraphiés et suivent les déplacements des acteurs et danseurs de manière naturelle. Pour moi, cela représente l’essentiel d’un musical « de Broadway » : éblouir le spectateur en donnant vie et dynamisme à tous les éléments présents sur scène. La musique, quant à elle, est entêtante juste comme il faut. Seuls bémols : l’argument et les danses un peu trop simples à mon goût. J’aurais aimé voir plus de claquettes que les trente secondes présentées, mais le show reste très divertissant. Aussi, la Chose et le Cousin Machin n’apparaissent que brièvement au lever de rideau, alors qu’ils auraient pu être plus présents. Malgré cela, c’est une comédie musicale à voir et à (ré)écouter !