La Mort de la Terre de J.-H. Rosny aîné
L’Homme, le destructeur prodigieux de la vie

Dans une climate fiction1 avant l’heure, l’auteur belge J.-H. Rosny aîné (1856-1940) décrit le dépérissement de la Terre et de son espèce « homicide », l’Homme. La Mort de la Terre (1910) est un récit funeste, quasi prophétique, qui nous entraine sur une Terre-désert où l’eau et l’espoir de vivre se font rares.
Un conseil : si vous êtes sujet·te à l’éco-anxiété, ne lisez pas ce livre. Ou lisez-le, assis sur un banc, au soleil, en sachant que vous avez prévu un moment réjouissant plus tard. Dans La Mort de la Terre, le romancier belge J.-H. Rosny aîné (1856-1940) imagine le futur de notre planète dans cent millénaires. Il s’agit d’un futur où l’espèce humaine est arrivée en bout de course, à force d’avoir épuisé et saccagé sa planète. Regroupé·es autour d’oasis où l'eau et les séismes rythment leur croissance, les humain·es ne sont plus qu’une poignée de milliers, se nourrissant de plantes et cohabitant avec les oiseaux ‒ l’unique autre espèce animale qui a su s’adapter aux cinq cent siècles de dégradation.
« À des époques fort anciennes, aux premiers siècles de l’ère radioactive, on signale déjà la décroissance des eaux : maints savants prédisent que l’Humanité périra par la sécheresse. »
En 1910 déjà, J.-H. Rosny aîné mettait en mots la menace écologique que font peser les humain·es sur la planète, tout en imaginant quel genre d’humain·es auraient survécu à un épuisement des ressources et des envies. C’est face à des personnages apathiques et sans désirs qu’on se retrouve, exception faite du personnage principal, Targ. Rare homme en qui s’éveille encore l’esprit d’aventure, Targ mène le récit en compagnie de sa soeur, Arva, et de sa femme, Êré. Ensemble, ils cherchent à ne pas laisser s’éteindre en silence le règne des humain·es.
Et le silence, lui, habite le roman. On y ressent l’absence de vie, la rareté des paroles échangées, tandis que la mort déambule entre les pages. J.-H. Rosny aîné déroule, par une écriture d’une extrême poésie, la fin silencieuse d’une espèce qui fut auparavant la plus puissante de toutes. Jamais, pourtant, il n’est question de s'apitoyer, il s’agit seulement de suivre avec une douce lenteur cette fin inéluctable :
« L’Homme vit dans un état de résignation douce, triste et très passive. L’esprit de création s’est éteint ; il ne se réveille, par atavisme, que dans quelques individus. De sélection en sélection, la race a acquis un esprit d’obéissance automatique, et par là parfaite, aux lois désormais immuables. La passion est rare, le crime est nul. »
Vous connaissez peut-être J.-H. Rosny aîné (1856-1940) pour le prix qui porte son nom, le Prix Rosny aîné qui récompense chaque année, depuis 1980, une œuvre de science-fiction francophone, ou encore en tant que membre fondateur de l’Académie Goncourt. Auteur belge ayant vécu une grande partie de sa vie littéraire en France, Joseph Henri Honoré Boex, l’aîné de la famille Rosny, fut un écrivain prolifique. Très, très prolifique. Avec plus d’une centaine de textes, J.-H. Rosny aîné cherche à explorer les genres : romans de mœurs, romans préhistoriques, romans d’aventures… C’est donc tout naturellement qu’il rencontre le genre de l’anticipation, ancêtre de la science-fiction. C’est en mêlant la rigueur naturaliste de l’époque et une écriture poétique et suggestive que l’auteur débouche sur un genre romanesque, un genre qui réunit l’observation scientifique et l’imagination. Maurice Renard, son contemporain, théorisera ce type d’écrits sous le nom de « merveilleux scientifique », une littérature d’imagination scientifique.
Avec plusieurs autres romans dits « d’anticipation », comme Les Xipéhuz (1887) où Les Navigateurs de l’infini (1925), J.-H. Rosny aîné explore les mondes et les futurs possibles en décrivant les phénomènes en détails. Dans La Mort de la Terre, il imagine d’ailleurs une technologie de communication à distance appelée « ondifères », capable de porter la voix des humain·es sur plusieurs kilomètres. J.-H. Rosny aîné est aussi avant-guardiste sur la question de l’euthanasie ‒ un mot d’occurence rare en 1910 ‒ car c’est grâce à cela que les humain·es régulent leur population. Sans tabou, les proches de Targ, Arva et Êré recourent à l’euthanasie avec une certaine exaltation, afin d’être délivrés en douceur du monde inhospitalier dans lequel ils vivent.

La ré-édition de La Mort de la Terre par Espace Nord parue en 2025 est accompagnée de huit illustrations de Guillot de Saix, présentes dans la publication originale. Ces illustrations ne s’attardent pas sur les scènes de désespoir, et s'attachent plus à mettre en image la manière dont les personnages s'intègrent à un décor principalement minéral. Car c’est bien la toile de fond du propos de J.-H. Rosny aîné : l’émergence d’un nouveau règne grâce à une autre espèce qui est minérale. Au fil des pages, les « ferromagnéteux », sortes de grappes violettes qui se nourrissent du fer présent dans le sang des humain·es, peuplent lentement cette terre désertique.
La Mort de la Terre n’a pas été une lecture joyeuse. Pourtant, il m’a été facile d’imaginer ce monde futuriste au goût suranné. C’est uniquement grâce à l'écriture poétique et visuelle de l’auteur que j’ai pu terminer ma lecture, non sans un soupir de soulagement. La Terre qui nous est décrite est terriblement belle, ce que l’auteur nous transmet en faisant vibrer les sons et en utilisant de nombreuses métaphores visuelles pour peindre son décor :
« Les innombrables âmes des cristaux s’éveillaient à la lumière : c’était un crépuscule souterrain, éblouissant et furtif, une grêle infinitésimale de lueurs écarlates, orangées, jonquille, hyacinthe ou sinople. »
Je me demande néanmoins comment les dernières espèces réussissent à vivre dans cet ersatz d’écosystème sans la présence d'insectes, mais c’est bien le seul point qui me titille. Je reste malgré tout émerveillée par la puissance imaginative de l’auteur et cette capacité à anticiper des phénomènes écologiques actuels. En refermant ce récit, une idée prédominante me reste en tête : la Terre continuera à voir les règnes se succéder et le règne humain, lui aussi, est voué à se terminer.