Le Garçon et le Héron
d’Hayao Miyazaki le testament artistique du maître de l’animation
Après dix ans d’absence, le maître de l’animation revient avec un long-métrage de deux heures, Le Garçon et le Héron, où l’on retrouve tous les ingrédients qui font le style unique et onirique d’Hayao Miyazaki.
En allant voir Le Garçon et le Héron au cinéma, j’ai essayé de me souvenir de tous les films d’Hayao Miyazaki que j’avais été voir sur grand écran à leur sortie. Et à ma grande surprise, ils ne sont qu’au nombre de… trois. Le premier était Ponyo sur la falaise, quand j’avais dix ans. Ensuite est venu Le vent se lève, et maintenant son dernier film. Bien sûr, il y a eu beaucoup d’autres films du Studio Ghibli, mais ceux du maître de l’animation nipponne se faisaient de plus en plus rares. C’est là que j’ai pris conscience que, la sortie d’un long-métrage d’Hayao Miyazaki, c’est quand même un sacré évènement !
On sent, à travers Le Garçon et le Héron, que le réalisateur a cherché à se faire plaisir. Les références à l’ensemble de son œuvre sont légion et le scénario n’est pas des plus simples, ce qui peut le rendre moins accessible. Son dernier film, Le vent se lève, avait déjà beaucoup fait parler de lui car il détonnait en comparaison à ses autres œuvres. L’adaptation romancée de la biographie de l’inventeur de l’avion Zero s’adressait à un public adulte et s’inscrivait dans un style plutôt réaliste. Avec Le Garçon et le Héron, on a la sensation de revenir à du Miyazaki classique, mais dans une forme plus exaltée. Les éléments fantastiques et oniriques débordent de partout, l’histoire est composée d’une multitude de personnages tous plus dingues les uns des autres et le scénario nous fait tourner en bourrique.
La trame de base est pourtant simple. En pleine Seconde Guerre mondiale, un jeune garçon, Mahito, vient habiter chez sa tante à la campagne suite au décès de sa mère dans un incendie à Tokyo. On retrouve dès le début une caractéristique des familles de Miyazaki : elles sont rarement complètes. Les enfants se retrouvent toujours, à un moment ou l’autre, seuls. La nouvelle maison de Mahito est au milieu de la nature, bordée d’un lac, entourée de bois. Une tour délabrée se dresse au fond du jardin. On apprend que c’est le grand-oncle du garçon, un personnage excentrique, qui l’a fait construire. À son arrivée, alors qu’on lui fait visiter les lieux, un héron prend son envol et fonce sur lui, le frôlant au passage. « C’est comme s’il te souhaitait la bienvenue », lui dit sa tante en rigolant. Elle ne croit pas si bien dire.
Dans ce défilement de paysages et de lieux magnifiquement esquissés (rappelons que Miyazaki dessine et peint tout à la main), des éléments de-ci, de-là commencent à jeter le trouble aux yeux des spectateurs et des spectatrices, et augurent l’orientation fantastique que prendra le film. Cela commence par les servantes de la maison qui grouillent autour de la valise de Mahito. Leur apparence et leurs mouvements suggèrent qu’elles ne sont pas qu’humaines. Les cauchemars du garçon autour de l’incendie qui a coûté la vie de sa mère ne cessent de s’immiscer, créant des scènes fantasmagoriques dans lesquelles Mahito se précipite dans les flammes, son corps déformé par la chaleur et la texture du rêve. Le héron se fait également de plus en plus insistant auprès du garçon, rappelant sa présence en frappant aux fenêtres ou sur le toit de la maison jusqu’à ce qu’il se mette subitement à parler d’une voix éraillée, enjoignant Mahito à le suivre pour sauver sa mère qui ne serait pas morte.
Ce dernier refuse dans un premier temps d’obéir à l’oiseau, même si ses paroles à propos de sa mère le perturbent. Ce sera la disparition de sa tante, qu’il a vue s’enfoncer dans la forêt, qui va pousser le garçon à s’aventurer sur les traces du héron. Et c’est en rentrant dans la tour qu’il tombe dans le rabbit hole à la façon d’Alice au pays des merveilles, sous les yeux d’un vieux sage, maître de l’univers magique.
Ce moment marque un tournant dans le film, qui bascule presque exclusivement dans une dimension fantastique. Le rythme s’accélère fortement au fur et à mesure que Mahito passe de monde en monde et rencontre toute une série de personnages secondaires, humains et non-humains. On y retrouve des figures féminines fortes et attachantes, comme la version avec cinquante ans de moins d’une des servantes de la maison ou la jeune fille du feu, un invariant des œuvres de Miyazaki. On peut néanmoins regretter que les relations entre celles-ci et Mahito ne soient pas plus développées, surtout concernant la jeune fille qui se révèle être un personnage clef. Un clin d’œil est également fait à travers les Warawara, des petits êtres sous formes de bulles légèrement translucides, qui représentent les âmes des enfants à naître. Ils rappellent les Kodama, ces esprits des arbres qui peuplent la forêt dans Princesse Mononoké.
Le long-métrage se démarque également par un délire ornithologique qui prend son envol dans la deuxième partie. Il y a bien sûr le héron, qui entraîne le protagoniste dans un monde parallèle, mais également les pélicans et les perruches. On découvre avec effroi que les perruches, sous leur apparence d’oiseaux joufflus tout colorés, sont des animaux à l’instinct sanguinaire, dont le but est de découper Mahito en petits morceaux pour le manger. Elles transportent des armes partout avec elles et vivent en communauté dans une ville à leur échelle, allant au bar, faisant la cuisine et acclamant leur leader facho en meeting politique. Cela donne des scènes complètement cocasses dans un décor qui rappelle Le Roi et l’oiseau.
On a parfois le sentiment que tout va trop vite, et qu’on ne peut pas profiter pleinement de chaque scène et de chaque univers. On aurait aimé pouvoir s’arrêter sur la symbolique foisonnante des dessins qui nous sont présentés, mais on en n’a pas toujours le temps. Le scénario perd les spectateurs et spectatrices dans la complexité des méandres de ce nouvel univers. En le traversant à la recherche de sa tante, Mahito va se rendre jusqu’au cœur du monde magique où l’histoire de sa création nous sera expliquée. On ne comprendra pas toujours de quoi il retourne… Est-ce si grave ? Mon avis est biaisé quand je parle de Miyazaki, je porte ses œuvres dans mon cœur. J’avais néanmoins le sentiment que cela ne me dérangeait pas plus que cela d’être perdue. Je souhaitais simplement profiter du voyage et de la maîtrise artistique, qui elle était bien au rendez-vous.
Il est impossible de visionner un film de Miyazaki sans s’attarder sur la musique. Encore une fois, c’est Joe Hisaishi qui s’est vu confier le travail. Très honnêtement, pendant le visionnage, je me suis demandée à plusieurs reprises si Hisaishi était seul compositeur. Je ne reconnaissais pas toujours le style de ce dernier, souvent entêtant, presque enfantin, mais jamais dans l’excès. Les musiques étaient ici plus douces et calmes, un fond sonore agréable qui contrastait parfois avec la rapidité des scènes de la deuxième partie.
Enfin, Le Garçon et le Héron est aussi un film qui aborde la thématique du deuil, du point de vue d’un enfant. Beaucoup de détails familiaux de Mahito sont inspirés par la vie de Miyazaki lui-même (le déménagement à la campagne pendant la guerre, la perte de sa mère…). Toshio Suzuki, le producteur et ancienne grande figure du Studio Ghibli, avait annoncé il y a plusieurs années de cela que la prochaine animation de Miyazaki serait un message à son petit-fils, une manière de lui dire adieu avant sa mort. La figure du vieux sage qui veille sur les mondes fantasmagoriques incarnerait-elle le maître de l’animation nipponne lui-même ? Je ne souhaite pas m’avancer dans les interprétations. On peut par contre lire ce film comme un testament artistique et un message destiné à ses proches. En 2023, Miyazaki a 82 ans. Son dernier film date d’il y a dix ans. Peut-être en ressortira-t-il un dans sa nonantaine ? On ne peut que l’espérer, tant son univers est riche et ses messages importants. Mais si ça n’est pas le cas, Le Garçon et le Héron est une belle révérence tirée par le maître.