Les Pêcheurs de perles
Cette saison, l’Opéra royal de Wallonie a décidé de donner cinq représentations de l’opéra les Pêcheurs de perles de George Bizet. Autrement dit, de permettre aux spectateurs de s’asseoir sur des rochers au large d’une plage de Ceylan (aujourd’hui Sri Lanka) et de se laisser bercer par les chants aux accents exotiques d’un peuple des rivages.
Il y a de cela bien longtemps, deux amis, Nadir et Zurga, réitèrent leur promesse d’amitié éternelle, malgré l’amour qu’ils éprouvent tous deux pour la même femme, Leïla, une mystérieuse nouvelle prêtresse de Brahma qui prononce ses vœux devant le prêtre Nourabad : elle n’enlèvera jamais son voile et restera vierge, afin que ses incantations protègent les pêcheurs de perles de la colère des flots . Or, la nuit, Nadir et Leïla se reconnaissent et ne peuvent s’empêcher de chanter leur amour. Nourabad les surprend et les condamne à mort. Zurga, nommé chef du peuple, s’interpose et décide de les laisser partir, avant de reconnaître à son tour la femme dont il est épris, grâce à un collier qu’il lui avait donné. Du pardon, il passe à une jalousie enragée, avant de se ressaisir et de mettre le feu au village afin que les deux amants puissent s’enfuir.
Pour cette production, mise en scène par le Japonais Yoshi Oïda pour l’Opéra-Comique de Paris, l’Opéra royal de Wallonie a privilégié une distribution exclusivement wallonne avec, dans les rôles principaux, Anne-Catherine Gillet (Leïla), Marc Laho (Nadir), Lionel Lhote (Zurga) et Roger Joakim (Nourabad). Lionel Lhote est sixième lauréat du concours Reine Élisabeth de 2004, avec également le prix du public en poche. Public qu’il a d’ailleurs encore une fois séduit le 30 avril dernier. Marc Laho s’est quant à lui tout autant distingué par ses capacités vocales, pourtant altérées par une pharyngite carabinée. Un Nadir presque parfait. Une mise en scène moderne, épurée, un bon jeu d’acteur bien qu’assez limité car toutes les paroles sont chantées dans la tradition des r roulés.
Tout, dans cet opéra, donnait envie de voyager. Le décor, minimaliste , était constitué principalement de barques en bois clair et brut. Les planches de la scène étaient peintes de sable et de mer, et s’adaptaient agréablement au fil des changements de lumière. Les couleurs du soir, de la nuit et de l’aube offraient des ambiances complémentaires et chaudes , presque estivales, sûrement renforcées par la chaleur ambiante de la salle du Palais des Beaux-Arts de Charleroi. Le chœur, apparaissant régulièrement entre les divers duos et solos des différents personnages, portait un costume bleu et blanc en coton. Leïla arborait de magnifiques voiles rouges mettant en exergue la délicatesse du personnage. La soirée s’est déroulée dans un autre monde, dans un temps hors du temps. La musique, écrite en 1863 par un jeune Bizet d’à peine vingt-cinq ans, permet ce voyage par ses mélodies presque orientales , sans pour autant déplaire à nos oreilles habituées aux sonorités occidentales. Il faut dire qu’à l’époque, l’Europe avait les yeux tournés vers ses colonies lointaines. Il fallait faire rêver le public.
Les seules ombres au tableau sont la pauvreté du livret (d’Eugène Cormon et Michel Carré) et la brièveté de l’œuvre. Une heure quarante-quatre minutes, ce n’est pas beaucoup pour un opéra de trois actes avec entracte. Le dénouement arrive vite, la fin semble précipitée. Pas d’histoire secondaire, très peu de personnages. Cependant, un opéra en français si court peut être un bon point de départ pour un novice dans l’art lyrique.
Si, par exemple, la Flûte Enchantée de Mozart ou l’Anneau des Nibelungen de Wagner, de grandes œuvres au succès indéniable, longues et compliquées, sont certainement plus riches et complètes, plus impressionnantes, Bizet nous ouvre ici une porte vers un monde nouveau, pas très loin de celui qu’on connaît, finalement. Un triangle amoureux sur fond de prières et de mer. Un monde rassurant, sans bien grands dangers. Un monde tiède, doux, dont une autre dimension est gratuitement disponible sur la plateforme Spotify. Pour commencer, écoutez la romance de Nadir ( Je crois entendre encore ), Me voilà seule dans la nuit (Leïla), De mon amie, fleur endormie (Nadir et Leïla), Sur la grève en feu (le chœur) ou encore Ô Dieu Brahma (Leïla et le chœur). Bonne découverte !