critique &
création culturelle

Les passions de Maria

Après Jackie et Spencer, la série féminine du réalisateur chilien Pablo Larraín se pare d’un troisième film : Maria, sorti fin d’année 2024, avec Angelina Jolie dans le rôle-titre. Le spectateur suit Maria Callas, la plus grande voix lyrique du XXe siècle, durant ses tout derniers jours, entre délires médicamenteux et souvenirs aux teintes vintage.

À quoi peuvent bien ressembler les derniers jours de la plus grande voix lyrique du XXe siècle, après le succès et les passions amoureuses mouvementées ? C’est la question centrale du film Maria du réalisateur chilien Pablo Larraín, autour de la cantatrice grecque Maria Callas.

Ce drame « biographique » s’étale sur une semaine d’automne 1977, entre souvenirs aux teintes vintage, délires médicamenteux et heures de lucidité, au moment où Maria tente de retrouver sa voix si particulière, des années après la fin de sa carrière et le décès de son ancien amant Aristote Onassis. À cette époque, la Callas n’est plus entourée que de ses caniches et de ses employés de maison, Ferruccio et Bruna. Ceux-ci essayent tant bien que mal de protéger Maria en confisquant ses médicaments et en accédant à toutes ses lubies, comme déplacer le piano d’un bout à l’autre du salon de son gigantesque appartement de l’avenue Georges-Mandel, dans le 16e arrondissement de Paris.

Les scènes, moments pourtant furtifs, s’égrènent lentement. Maria avance sur le fil de l’illusion : elle se repasse les événements importants de sa vie en répondant à l’interview imaginaire d’un journaliste portant le nom de son barbiturique favori et refuse de voir la réalité en face, en repoussant le docteur qui tente pourtant de lui sauver la vie. C’est sans espoir : la première scène du film est celle des premiers instants qui suivent le décès de La Callas.

Le spectateur oscille aussi et se perd parfois entre réalité et fantasme et entre dans la tête de Maria, dans sa souffrance. L’expérience en elle-même est à la fois contemplative et surprenante. Contemplative parce que Maria observe lentement sa vie, parade dans son appartement aux allures de musée et caresse du regard son immense garde-robe. Surprenante par son côté « anti-biopic » : on ne doit surtout pas s’attendre à une biographie classique et détaillée de tous les événements qui l’ont menée sur le devant de la scène. On comprend par contre qu’elle a beaucoup souffert et qu’elle s’accroche à ce qu’elle a été. Que peut-elle encore être, sans sa voix, sans Onassis ?

Maria Callas et Aristote Onassis à Paris en 1966 - © DALMAS/SIPA

Cet hommage glamour s’inscrit dans le sillage des deux autres drames féminins réalisés par Larraín : Jackie (Jackie Kennedy-Onassis, 2016) et Spencer (Diana Spencer, 2021). Ces trois femmes et leurs passions tumultueuses, surexposées médiatiquement, perdent l’amour et tentent de survivre après s’être effacées derrière l’homme qu’elles chérissaient.

Dans Maria, la voix tient un rôle majeur : on se rend compte que La Callas chante depuis très jeune et que son don lui a permis de s’élever socialement, en plus de la protéger dans les moments difficiles. Larraín a choisi d’utiliser des enregistrements authentiques de Maria Callas tout en préparant Angelina Jolie au rôle comme une chanteuse et non comme une actrice. Certains biopics comme Bohemian Rhapsody ou Rocketman prennent le parti opposé en faisant chanter leur casting, ce qui, à mon sens, n’aurait pas rendu justice au timbre particulier de La Callas, qui a marqué un véritable tournant dans l’art lyrique. Les voix de Callas et Jolie ont cependant été un peu mixées ensemble pour plus de réalisme. Comme l’indique le réalisateur dans une interview en janvier 2025, « s'il s'agissait d'un film sur une chanteuse de pop ou de rock, nous aurions davantage pu tricher, et utiliser la technologie pour faire illusion, car cela fonctionnerait. Ce n'est pas possible avec l'opéra, qui est un exercice vocal impossible à imiter. Il faut être capable d'atteindre une tessiture vocale et se mettre au diapason au moment voulu […] La majeure partie de ce que vous entendez, c'est Maria Callas, mais il y a toujours un fragment d'Angelina ».

Le spectateur découvre vite que Maria voudrait chanter à nouveau, peu importe les conséquences. Au début, pourtant, Maria n’ose pas, n’y arrive pas. N’est-il pas terrible de se mettre à nu comme cela après s’être drapée si longtemps dans son image publique ? Et puis, chercher à retrouver sa voix, ne serait-ce pas aussi chercher à se retrouver en tant que femme, après un deuil à rallonge de presque une décennie (après sa rupture et le décès d’Onassis pour qui elle avait délaissé sa carrière), se redécouvrir elle-même ? Qui est-elle ? La question apparaît en filigrane de ses interviews imaginaires et des discussions sérieuses qui ponctuent ses derniers jours.

En sortant du cinéma, il m’était difficile de me faire un avis marqué : d’un côté, le film est lent et sans rebondissements majeurs en dehors du décès de Maria Callas. L’atmosphère est assez lourde (le film s’ouvre sur la découverte du corps de la chanteuse dans son appartement), la décoration est très pesante, presque poussiéreuse, et la souffrance mentale à laquelle le spectateur est confronté de manière un peu brutale n’aide pas à se plonger dans le film. D’un autre côté, le casting est plus que réussi : Angelina Jolie est parfaite pour le rôle et Bruna (Alba Rohrwacher) et Ferruccio (Pierfrancesco Favino), dont les personnages au tempérament si doux contrastent avec la violence de la souffrance de Maria, sont très touchants. La réalisation est très inventive et le jeu des souvenirs est bien ficelé, avec des décors et une photographie magnifiques. C’est un beau film qui rend joliment hommage (sans jeu de mots) à qui La Callas a été.

Étant plus amatrice d’opéra que cinéphile, j’ai été plus touchée par l’interprétation de la personnalité de Maria par Angelina Jolie et par la teinte dramatique donnée à sa vie que par l’esthétique du film en lui-même. Il m’a en tout cas donné envie de découvrir le triptyque de Larraín et séduira toutes celles et ceux qui souhaitent (re)découvrir la voix la plus surprenante du XXe siècle.

Même rédacteur·ice :

Maria

de Pablo Larraín
Scénario de Steven Knight
Avec Angelina Jolie, Pierfrancesco Favino, Alba Rohrwacher
États-Unis, Allemagne, 2024
124 minutes

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