Miles Kanes solo avec One Man Band
L'Orangerie embrasée
Avec son cinquième album solo One Man Band, Miles Kane est venu dynamiter l’Orangerie (Botanique) le 18 février dernier. Intense et obstinément authentique, la prestation du chanteur liverpuldien était criante de générosité. Une immersion en deux teintes, à la fois électrique et nostalgique dans les eaux turbulentes d’un rock indé façon Kane.
Il y a des concerts qui, très vite, s’imposent au souvenir sous des superlatifs. C’est le terme « grandiose » qui martèle l’esprit depuis qu’on est sorti de celui de Miles Kane. De passage au Botanique pour sa tournée en Europe, l’ex-chanteur des Rascals et The Little Flames est venu présenter à la capitale One Man Band, son dernier album solo sorti en août 2023 sous le label Modern Sky UK. Et il a, littéralement, tout donné. La salle de l’Orangerie, où s’étaient joyeusement mélangés des inconditionnels du rock, toutes origines, générations et attentes confondues (mais pas que), s’est presque embrasée. Et nous, on en est sortis dans un brouillard de fumée, complètement énergisés. Retour sur ce concert détonnant qui a réchauffé notre amour du rock indé (et pour l’un des « lads les plus cool de la planète rock indé anglaise de ces deux dernières décennies »).
Dimanche 18 février 2023, 19 heures 15. Bruxelles est battue par la pluie, les rues sont frigorifiées, complètement vides. Pour rejoindre le Botanique sans sombrer en dépression il ne faut rien de moins que le concert d’un guitar hero qui a de l’énergie à revendre, affiché sold-out en même pas 24H.
Si vous êtes un aficionado du rock indé et que le nom de Miles Kane ne vous dit rien, réjouissez-vous. Il risque de faire fuir assez vite la grisaille de vos journées bruxelloises. Mais si vous ne mangez pas de ce pain-là, restez quand même, vous n’êtes probablement pas à l’abri d’une belle trouvaille...
Pour vous situer l’artiste : il fait partie de ces musiciens hyper talentueux pas assez connus, qui ont trouvé la lumière grâce à des noms plus grands qu’eux. Ancien acolyte d’Alex Turner, leader du groupe Arctic Monkeys (qu’on ne vous présente plus), ils s’étaient associés en 2007 pour fonder The Last Shadow Puppets, un duo symphonique de baroque pop britannique qui a laissé derrière lui quelques magnifiques pépites. Il a aussi formé The Jaded Hearts avec Matthew Bellamy (leader de Muse) et collaboré avec de nombreuses autres figures d’envergure telles que Jamie T, Dan Carey, Noel Gallagher ou encore Lana Del Rey. Son univers, résolument rock, a évolué au rythme de ses différentes collaborations, mais on reconnaît toujours sa signature dans des riffs de guitare nerveux, des beats sautillants et une voix singulière et affirmée qu’il pose sur des textes à la fois percutants et sensibles.
Avec son album One Man Band, le phénomène Kane revient à ses racines pour livrer un disque accrocheur, imprégné d’une guitare épurée qui marque une volonté de se défaire d’un « décors sonore élaboré » et de se reconnecter à l’essence du rock. Un dernier album déterminant, aux titres pop-rock accrocheurs, avec des refrains qu’on s’approprie rapidement, et surtout, remplis de sincérité. Résultat : un disque addictif « bourré à la dynamite britpop », qui prouve que Miles Kane a toute sa place dans la cour des grands, même en solo – n’en déplaise à certaines critiques plus sévères.
20 heures : arrivée à l’Orangerie. En première partie du concert, on découvre le groupe gallois The Royston Club. Rock garage rafraîchissant, imprégné d’influences familières telles que celle des Strokes ou de Vampire Weekend, on leur reconnaît même des intonations de Brandon Flowers, chanteur des Killers ou encore de Luke Pritchard des Kooks. La salle déjà bien remplie se réchauffe vite sous les coups de guitare de Tom Faithfull et Ben Matthias aux regards complices et voix jumelles. Ils sont jeunes, terriblement à l’aise sur scène – presque crâneurs - et tellement motivés qu’on se surprend même à chanter leurs titres (qu’on a découvert sur place).
21 heures passées. Tension palpable. Crâne rasé et blond décoloré, marcel immaculé et perfecto emblématique, Miles Kane fait enfin son entrée suivi par son full band. Il transcende la scène sur « Troubled Son », premier titre de One Man Band qui donne le ton à la première moitié du show. L’atmosphère s’électrifie instantanément. L’énergie reste intacte avec « Better Than That », tiré de l’album Don’t Forget Who You Are (2013) pour un saut rétrospectif de tout pile dix ans qui n’a pas pris un pli. Impossible de reprendre haleine avec « The Wonder » et « The Best Is Yet To Come » et la basse grondante de Nathan Sudders.
Au-delà de l’énergie et des vibrations rock communicatives de l’artiste liverpuldien, c’est son brio scénique qui nous captive et qu’on retrouve : à la fois concentré sur la qualité de sa prestation et investi avec son public, qui ne touche plus le sol avec son bonsoir « Brouxelles ».
L’artiste se montre à la hauteur de sa réputation d’excellent guitariste. Il ne lâche rien sur « Give Up » et la batterie de Liam Toon ne s’essouffle pas (et nous non plus). S’ensuit un solo de guitare impressionnant sur « One Man Band », qui exhorte à l’optimisme avec des paroles qu’on a envie d’emporter avec nous : « Let me sing about the brighter days ». « Inhaler », sorti de Colour Of The Trap (2011) nous tient en apnée sans faire baisser la température d’un Celsius.
En seconde partie du concert, l’atmosphère s’adoucit. « Heal » rafraîchit la salle avec une basse plus mélodique et des orchestrations fouillées qui ralentissent le tempo. On peut enfin reprendre son souffle sur « Loaded » avec son ouverture plus minimaliste, titre écrit à deux mains avec Jamie T et sur lequel la grande Lana Del Rey a posé sa voix. Il est loin le rock aux coups de guitare acides, ce qui illustre encore l’étendue des capacités techniques et mélodiques de Kane. Puis la scène s’habille de rouge pour s’accorder aux vibrations de « First Of My Kind », co-écrite avec l’ami Turner et tirée de son EP éponyme de 2012, qui débute par des chœurs dramatiques et un « True romance, is what I’m after darling » qui dégouline de nostalgie. Avec son accent liverpuldien, Kane – qui dégouline au moins tout autant – se targue encore d’un « How are you feeling Brussels » avant d’attaquer « Baggio » sur une scène vert blanc rouge (rococo oblige). « Colour Of The Trap », vestige de son premier album du même nom (2011), ralentit encore un peu la cadence avec un titre gorgé d’emphase et de mélancolie façon slow.
Et l’Orangerie se retrouve à nouveau secouée avec la même énergie que celle des premiers titres sur « Rearrange » qui marque aussi les débuts de l’artiste, « Cry On My Guitare » qui vient tout droit de l’album Coup de Grace (2018) et qu’il joue sur un tempo accéléré. Il troque ses « shalalala » crooner pour une version nettement plus sensuelle et finit guitare électrique retournée sur la tête. Surexcitation totale. Sans transition, il enchaîne avec « Coup De Grace » dans un français toujours très british et enflamme le public avec « Never Taking Me Alive » et un solo de guitare nerveux qu’il finira complètement agenouillé aux côtés du batteur. La foule, déchainée, osera même un timide pogo au devant de la scène avant que les lumières ne s’éteignent.
Rappel comme de droit et retour du grand Miles qui en profite pour mettre en lumière Tom Faithfull qu’il ramène sur scène pour une version inédite de « Come Closer » chantée à deux avant de retourner à l’obscurité.
Dernier rappel (encore) et Miles nous quitte sur un splendide (et très attendu) « Don’t Forget Who You Are » dans une version extended incroyable qu’il module sur des notes a capella électrisantes, toujours avec une énergie stupéfiante. La salle est bel et bien embrasée. Il ne quittera pas l’Orangerie sans avoir salué ses fans, serrés quelques mains, baisés volant et poing sur le cœur.
22 heures 13, on est complètement bousculés par la qualité de la prestation. Ces 60 et quelques minutes de vibrations rock continues, à la fois abrasives et nostalgiques, ont rasséréné notre cœur de puriste moins sensible aux arrangements plus sixties. On a retrouvé le meilleur de l’artiste, ses morceaux signatures qui ne sentent pas la naphtaline et ses tous derniers titres qui retournent aux bases d’un rock dynamique. Sans parler de sa grande générosité sur le plan scénique. Pas sûr que Miles Kane et son full band aient réalisé qu’ils se produisaient dans la salle de l’Orangerie et non devant une foule un peu plus fournie au Stade Roi Baudouin (et nous non plus).
Alors, si vous avez envie de vous rappeler who you are ou tout simplement de (re)découvrir un des plus grand guitar hero du rock indé de ces quinze dernières années, on ne peut que vous exhorter à écouter ce dernier album solo aussi sincère que son créateur et à sauter sur les sites de reventes de tickets pour tenter d’assister à l’une des prochaines dates de sa tournée (quasi sold out) en Belgique. On glisse – juste comme ça – qu’il sera encore de passage le 03/04 au Viernulvier à Gand, le 04/04 au AFFectie à Hasselt et le 05/04 au Reflektor à Liège. Et avec ça, assurément vous allez « keep the darkness from your door » et la pluie aussi.