Novembre marquant le Mois du documentaire, c’est l’occasion rêvée pour Screenbox de promouvoir Mitra , un film belge à la croisée des genres et des thématiques, lors d’une avant-première au Palace.
Le point de départ du film est simple : en 2012, Mitra Kadivar, accusée à tort d’entendre les pas d’un enfant qui n’existerait pas, est internée contre sa volonté dans un hôpital psychiatrique à Téhéran ; comble pour la psychanalyste iranienne. Elle entame alors une correspondance par mail avec son collègue émérite français, Jacques-Alain Miller, le suppliant de monter une action de soutien internationale face à cette injustice.
Cinq ans plus tard, Jorge León conçoit un double projet artistique autour de son histoire : un opéra et un documentaire. Si la correspondance entre Mitra et Jacques-Alain Miller en reste le fil rouge, l’histoire de Mitra devient vite un prétexte à la dénonciation de la réalité d’un hôpital psychiatrique.
Une multitude de genres
Le film, dont la sortie est prévue après celle de l’opéra, fait état d’un mélange de genres saisissant. L’importance du documentaire et l’ancrage dans le réel sont indéniables, la plupart des dialogues étant soit des témoignages de patients soit des archives de la correspondance entre Mitra et Miller. Le film s’ouvre d’ailleurs sur un plan de Mitra qui transperce l’écran par son charisme et sa prestance en lisant son premier mail. On regrettera par ailleurs de ne l’entendre que peu de fois tout au long du film, où elle apparaît comme une ombre presque fantomatique qui observe les événements.
La part de fiction est également présente, notamment par le recours à une actrice pour incarner les stagiaires infirmières. Jorge León justifie ce choix par le fait que les stagiaires sont nombreuses et se relaient rapidement dans le milieu, et qu’en suivre une seule aurait été compliqué. Mais il reconnaît également qu’il en donne une représentation utopique, ces stagiaires n’ayant, dans la réalité, pas autant de temps et d’écoute à accorder aux patients. Le fictionnel est aussi soutenu par de nombreuses mises en scène dans les hôpitaux.
Enfin, le film s’apparente également à une sorte de making of de l’opéra. Le spectateur est immergé dans les répétitions des choristes, qui s’approprient les échanges de mails et illustrent ainsi les thèmes récurrents du film. De plus, on observe divers processus d’enregistrements musicaux, en suivant la compositrice de l’opéra, Eva Reiter. Claron McFadden, qui est la voix de Mitra dans l’opéra, prend elle aussi un rôle important dans le film. Elle est même plus présente que Mitra elle-même, puisqu’elle est mise en scène dans le quotidien des patients.
Au cœur de la solitude
Si les thématiques se multiplient — entre la psychiatrie et l’opéra qui dominent, et l’injustice presque politique de l’enfermement de Mitra —, un grand message se dégage et résonne au fil des scènes.
« Jamais je n’aurais pu imaginer la profondeur de la solitude quand on est accusé de folie. »
Cette solitude, Mira l’avait ressentie dès le début de sa carrière, en étant la seule femme psychanalyste iranienne. Mais elle prend une autre dimension lors de son enfermement. Elle mentionne ainsi sa première nuit en hôpital, seule femme parmi dix-huit hommes ; seule saine d’esprit parmi des patients rattrapés par la folie. Mais la solitude transparaît aussi dans son combat pour être libérée, isolée de tous malgré le soutien de ses pairs et de ses élèves.
Les mots de Mitra font ainsi écho à ceux d’une patiente de l’hôpital d’Aix-en-Provence, choisie par Jorge León pour symboliser le milieu psychiatrique. Elle souligne l’injustice qui veut que les malades mentaux ne soient pas atteints d’une maladie mais que celle-ci les définisse profondément. Cette idée de solitude vertigineuse et presque irréelle sert de trame à l’ensemble du film.
« On peut avoir un cancer, mais on est schizophrène. »
Des métaphores percutantes et poétiques
Les deux grandes forces du film résident dans son traitement sonore et visuel, qui servent eux aussi le fond et l’idée de solitude écrasante.
La musique, constamment présente à l’arrière-plan, se veut ainsi porteuse d’un message. Les sons, souvent omniprésents, en deviennent des bruits oppressants, distordus, au point de s’apparenter à une forme de sound design métaphorique. Le résultat est efficace pour le spectateur, qui ressent réellement cette ambiance pesante. Les chants lyriques, clairs et profonds, performés dans des studios insonorisés, appuient également cette impression en représentant des échos amplifiés dans les couloirs des hôpitaux. Les cris des malades, récurrents et saturés, ne suscitent eux aussi que peu de réactions de la part des protagonistes. À leur tour, ils symbolisent cette idée de résistance et de manifestation face à la solitude de la folie et de l’enfermement.
Les scènes chantées sont soutenues par le peu de paroles et de dialogues qui renforcent l’impression poétique du film. Les plans d’illustration font eux aussi sans cesse appel à l’imaginaire du spectateur. Simples, épurés et souvent monochromes, ils accentuent et concrétisent l’idée d’isolement.
Mitra dépeint donc davantage une vitrine du milieu psychiatrique en Europe, plutôt que de livrer un réel message sur le combat de Mitra Kadivar en Iran, contrairement à ce que le titre suggère. Jorge León explique humblement ne pas avoir la légitimité nécessaire pour filmer la réalité iranienne, mais le spectateur peut toutefois ressentir une certaine déception de ne pas voir abordé le côté politique et mobilisateur de l’enfermement de Mitra. L’histoire de celle-ci et son contexte ne sont au final que très peu exploités.