Nouvelle Senne, un festival de rencontres et de partages
Interview de Victor Pestanes et Luana Staes
Cette année, le festival Nouvelle Senne est de retour pour une troisième année ! Karoo en a profité pour aller découvrir l’envers du décor, une semaine avant l’ouverture du festival, rendez-vous aux Riches-Claires pour discuter avec Victor Pestanes et Luana Staes de la mise en place de cette nouvelle édition, qui s’est déroulée début mai !
Découvrir un festival, c’est s’y rendre. Toutefois, on oublie souvent qu’avant le jour J, des personnes le préparent, le réfléchissent et le mettent en place. Un festival, avant d’être des moments de partage et de découverte, c’est avant tout une organisation ! C’est pourquoi cette année, en plus de se rendre au festival Nouvelle Senne (qui avait lieu du 2 au 4 mai), Karoo a décidé de mettre en valeur les personnes au cœur de son organisation.
Nouvelle Senne est un festival bruxellois qui fête ses trois ans et qui a pour objectif de mettre à l’affiche des créations qui donnent envie aux jeunes de se rendre au théâtre. Pour cela, ils programment de jeunes artistes belges puisque quoi de mieux que les jeunes pour parler aux jeunes ! Aux prémices de ce projet, ils sont trois : Victor Pestanes, Luana Staes et Victor Lefevre. Leur aventure a commencé alors qu’ils étaient encore sur les bancs de l’école et maintenant, leur projet grandit chaque année en maturité. Karoo a échangé avec Luana Staes et Victor Pestanes, un duo dynamique, humble et complice, qui se livre sur l’envers du décor de leur chaos contrôlé, comme ils me le partageront au cours de l’interview.
Je propose que l’on commence cet entretien par une brève présentation de vous, d’abord individuellement, et ensuite, de votre rôle au sein du festival Nouvelle Senne ?
Victor Pestanes : Moi, je m'occupe de la coordination du festival. J’ai lancé Nouvelle Senne quand j'étais en secondaire. Désormais, je suis étudiant en sciences économiques et à côté de ça, je fais de la mise en scène.
Luana Staes : Je suis chargée des relations presse et programmateurices au Théâtre des Martyrs depuis deux ans et demi. J'ai fait des études de communication et de gestion culturelle, et c’est dans le cadre de mon stage que je me suis retrouvée au Martyrs où j'ai rencontré les deux Victor. [rire] Victor (Pestanes) m'a contactée quand il a décidé de lancer son projet de mini-entreprise en me demandant si je voulais bien le marrainer, et j'ai accepté ! Puis le projet a grandi, il est sorti du cadre d’une mini-entreprise pour devenir une ASBL de laquelle je suis membre. Sur le côté, je suis rédactrice Karoo et membre de l’AG. J'aide aussi sur Turbulence qui est l'autre festival annexé à Nouvelle Scène.
Comment est né le projet Nouvelle Senne?
Victor Pestanes : Le projet est né dans le cadre de mon cursus scolaire. Pour un des mes cours, je devais créer une mini-entreprise avec cinq étudiants de ma classe. Après plusieurs brainstorming très corporate, on s'est dit qu’on n'avait pas envie de vendre des chaussettes ou des bougies, mais plutôt de mettre en place quelque chose en rapport avec la culture. Du coup, j'ai proposé de créer un festival de théâtre ! C’était assez marrant parce que la moitié de l'équipe était hyper partante alors que l'autre moitié ne l’était pas du tout, ce qui a donné lieu à un travail de réflexion commun qui a abouti sur l’envie de créer un lieu, à la fois, accessible aux jeunes qui aiment ça et/ou qui en font, et, en même temps, aux jeunes qui ne considèrent pas cet art comme un divertissement cool auquel se rendre. Et puis, en lançant le festival, et en prenant contact avec les lieux culturels, on a découvert qu'il n'y avait pas vraiment de structure permettant aux jeunes artistes de présenter leurs projets et que Nouvelle Senne pouvait en être une.
En quelques mots, comment décririez-vous le festival Nouvelle Senne ?
Luana Staes : Selon moi, c’est une zone de rencontre entre des jeunes artistes émergents et un public à la recherche d'une nouvelle manière de découvrir les arts de la scène, mais aussi un lieu de rencontre entre les artistes du festival. Cette année, au moment des choix de programmation, on a par exemple essayé d’avoir des personnes de toutes les écoles d’art. On trouvait chouette qu’ils puissent échanger sur leurs acquis scolaires, leurs expériences, voire donner la possibilité à des collaborations de voir le jour !
Victor Pestanes : C'est assez impressionnant de voir qu’après de longues réunions abruptes de communication ou de diffusion, les porteurs et les porteuses de projet restent tous au bar à discuter et à se rencontrer. [sourire]. En plus d’être un lieu où leur travail peut être mis en lumière, Nouvelle Senne est un endroit où ils apprennent à se connaître et à travailler ensemble, ce qui n’est pas toujours le cas dans les écoles d’art, amenant plus à l’individualisme ou la compétition.
Luana Staes : Et puis, nous aussi on apprend beaucoup ! On ne va pas se mentir, même si j'ai fait des études de gestion culturelle, diffuser des projets, préparer des dossiers, ce sont des choses que j'apprends sur le tas. Le fait de se dire que nous avons à apprendre les uns des autres, c'est vraiment cool.
Les Riches-Claires collaborent depuis la première édition : pourquoi et à quel point cette institution s’implique-t-elle ?
Victor Pestanes : Ça n'a pas du tout été un choix. [rire] Ça a plutôt été un concours de circonstances. Quand on a lancé le festival, on nous a beaucoup renvoyé : « Vous êtes complètement fous ! ». Lancer un festival émergent, c'est très compliqué en termes de soutien, de structure et de financement.
Luana Staes : L'idée, c’était d’avoir un modèle win-win au niveau de l’identité. On a fait un partenariat avec eux car ça avait du sens pour l'identité des Riches-Claires et l'identité de Nouvelle Senne. Eric De Staercke, directeur des Riches-Claires, a cette volonté de soutenir l'émergence des jeunes artistes. Ça a été une évidence pour lui de prendre part à un projet comme le nôtre !
Victor Pestanes : Et Eric soutient des projets un peu fous aussi. [rire] Puis, au-delà d’être l’endroit où Nouvelle Senne a lieu, c'est vraiment l'infrastructure qui nous accompagne. On est encadré par eux. Quand on a commencé, on n’y connaissait rien. On a avancé petit pas par petit pas, et chaque année ils nous poussent dans des missions plus précises pour élargir le festival.
Nouvelle Senne promeut un théâtre « par des jeunes et pour des jeunes ». Les deux premières éditions partaient d’ailleurs du constat que, pour la grande majorité des jeunes, « le théâtre, c’est chiant ! »… Toutefois ce slogan n'apparaît plus dans la présentation du festival cette année. Pourquoi ce changement ? Que dit-il sur la manière dont a été conçue la troisième édition de ce Festival ?
Victor Pestanes : On a eu le même slogan pendant deux ans, mais pour la troisième édition, on s’est dit que ce serait chouette de trouver un nouvel angle. Proposer quelque chose de cool et festif reste notre mot d'ordre, mais effectivement, on a un peu plus mis en avant les jeunes artistes que dans les années précédentes. Je pense que c’est un moteur pour les jeunes de se dire qu’en allant au théâtre, ils vont à la rencontre de gens qui ont leur âge. Ça rassure aussi !
L’année dernière, lorsque j’avais regardé le programme du festival, je m’étais étonnée du nombre et de la diversité des propositions, prenant place dans trois lieux différents. Cette année, j’ai pu remarquer une programmation plus uniforme et réduite de moitié, qui se déroule avant tout dans un seul lieu. Qu’est-ce qui vous a amené à envisager une programmation plus condensée ?
Victor Pestanes : Je dirais qu’en ce qui concerne les choix de programmation des créations, il y a eu une volonté de supporter des projets qui étaient vraiment prêts à être diffusés. L’année passée, on avait fait beaucoup de paris sur plein de projets qui étaient au tout début de leur création, et qui n’ont finalement pas pu bénéficier du tremplin proposé par Nouvelle Senne.
Luana Staes : Je pense qu’on avait aussi envie de pouvoir bien les accompagner et un accompagnement de qualité n’est possible que si on n’a pas trop de projets. L’année dernière, on a été beaucoup trop ambitieux ! On avait même voulu essayer de soutenir des artistes plasticiens en faisant des expositions, mais on s'est vite rendu compte qu'on n'avait pas la structure pour le faire. On reste une petite équipe bénévole, et on a aussi la volonté de prendre soin des équipes qui nous accompagnent, de ne pas les mettre à mal.
Victor Pestanes : On a dû apprendre à se concentrer pour que le festival tienne. Et je trouve que cette année, on a réussi notre pari. Les années précédentes, à cette période, c’était l’apocalypse ! [rire] Cette année, j'ai toujours l'impression que c'est l'apocalypse, mais elle est plus contrôlée. [rire] En plus, ça nous a permis de promouvoir des spectacles beaucoup plus exigeants techniquement. On a pu porter des propositions ambitieuses et donner la légitimité aux artistes d’inviter des professionnels pour leur montrer que, peut-être que sur dossier ça ne tient pas, mais si vous venez nous voir, sur plateau, ça tient !
La particularité de cette troisième édition est la création des espaces « LABO ». Pouvez-vous d’abord expliquer en quoi ces LABO consistent ? Et ensuite, pourquoi avoir fait le choix d’intégrer la présentation d’étapes de création à la programmation?
Luana Staes : L’année dernière, on n’avait pas vraiment différencié les paris du reste de la programmation. Cette année, on s'est dit qu'il fallait qu'on garde ce concept, mais en assumant que ce sont les prémices d'un projet. On a donc créé un espace spécifique pour ça.
Victor Pestanes : Oui c’est ça ! Les projets qui s'étaient vraiment auto-brandés comme des labos, comme des vraies étapes de création, avaient reçu un super retour du public parce que les gens étaient beaucoup plus à l'écoute et bienveillants. Du coup, cette année, on a eu cette volonté de créer des lieux où les artistes sont en position de fragilité, où ils présentent une première ébauche de quelque chose. Les espaces LABO sont de vraies cartes blanches, des paris osés !
Quels étaient les objectifs que vous vous étiez fixés pour cette troisième édition ? Sont-ils atteints ?
Victor Pestanes : Je pense qu'il y en a deux. Avant tout, que les salles soient remplies ! L’année passée, on avait vraiment vu une grosse disparité. Il y avait des projets qui étaient bondés et d'autres moins. Cette année, on voulait vraiment que tous les artistes bénéficient de cette joie d'avoir une salle complète. Et pour ça, on a tout misé sur la communication !
Luana Staes : Le deuxième défi, c’était la diffusion. C’était le très gros objectif de cette édition. C'est difficile et ça prend du temps de créer un réseau, comme ça prend du temps d'accompagner les artistes et de leur donner des conseils pour le faire. Alors on a voulu prendre ce temps.
Victor Pestanes : On est agréablement surpris de voir que quand on donne les bons outils, les artistes savent s'en servir ! On a eu de bons échanges avec les contacts professionnels, mais aussi avec les écoles. Concernant le public scolaire, on avait prémâché le travail en début d’année avec le festival Turbulence destiné au jeune public. L’enjeu a véritablement été de trouver des angles d'approche qui dépassent un cadre facultatif. C’est pour ça qu’on a organisé des ateliers qui présentaient les spectacles en donnant des clés de compréhension. C’est Victor Lefevre qui les animait, accompagné d’un artiste du spectacle concerné.
Pour finir, qu'est-ce que ça vous apporte, à vous personnellement, de bosser dans le cadre de ce festival ?
Luana Staes : J’ai aimé voir que quand on donne un espace aux artistes pour tester et expérimenter leurs idées, ils créent des choses incroyables ! Je me suis aussi rendue compte de l'effervescence que peut avoir un festival, c’est-à-dire courir d'une salle à l'autre, avoir l'impression de ne rien gérer, mais être toujours aidée et voir des folies devenir concrètes ! Tout le monde est dans la même galère, mais se soutient et s’entraide. Même si le domaine de l’art semble au départ compétitif, je me suis rendue compte que quand on crée un lieu de bienveillance et d’entraide, les gens y répondent très favorablement.
Victor Pestanes : Je vais rebondir sur ce que tu as dit : voir que Nouvelle Senne est un lieu où des artistes émergents viennent passer un week-end sans ressentir de la compétition, mais au contraire, du partage et de la convivialité, pour moi, le pari est réussi ! On travaille d’humain à humain, et on a tous cette humilité d’être là pour apprendre et construire ce festival ensemble !