Revenant de L’Herbe de l’oubli
Чорнобиль, en ukrainien ; Чарнобыль, en biélorusse ; Чернобыль, en russe . Tchernobyl. Comment affronter la mémoire d’un tel évènement lorsque le vocabulaire manque ? Quel langage inventer pour rendre compte de ce qui dépasse la pensée ?
la conscience, comme cataclysme.
la catastrophe, comme expérience.
l’apocalypse, comme grille de lecture.
le néant, pour toute adresse.
le vide, comme maison d’enfance.
et si la maison est ouverte, il n’y a, en fait, plus rien que son fantôme penché à la fenêtre.
des images, alors...
qui défilent sur un écran.
et que montrent-elles ?
le temps qui passe ?
la destruction ?
les choses qui restent, aussi ; les pierres ; les arbres qui se souviennent ; le vent, entre les branches.
c’est toute l’architecture de l’absence qui nous est exposée-là : Tchernobyl, ou l’herbe de l’oubli, l’absinthe, l’herbe amère.
la terre, ici, devient comme un laboratoire, un pays des signes illisibles, une peau souillée, blessée à jamais.
pour déchiffrer cela, le traduire, et peut-être cultiver à nouveau au-dessus des déchets, il y a des gestes qu’on prête à des marionnettes, un souffle qui désenfouit la parole.
il y a une main qui se balade ça et là ; main qui caresse une chaise, un fauteuil ; main qui réveille précautionneusement le tapis de poussières recouvrant le passé…
on devine un visage dans la forme obscure qui manipule ces êtres un rien monstrueux.
et puis, il y a des personnages, ou plutôt des témoins qui livrent, sur les bords de scène, comme en bordure de fleuve, leurs récits impossibles.
habitants, villageoises, travailleurs, religieuses et agriculteurs qui racontent, qui interrogent.
la vie, la survie, la lutte contre l’empoisonnement de leur monde, leur espèce de guerre contre l'ennemi invisible, et la suite pour après-demain ?
c’était la dernière représentation de la compagnie Point zéro, après trois ans de travail.
il y avait là cinq comédiennes et comédiens : trois femmes, deux hommes.
et les mots de Svetlana Alexievitch combinés à la mise en scène de Jean-Michel d’Hoop.
parmi eux, tu étais là.
discrète magicienne des ombres.
doctoresse en tension ; épouse nostalgique.
des pas pour aller d’un endroit à l’autre, dessinant un chemin, traçant un territoire; une zone que l’on explore avec prudence, du bout du pied, à tâtons.
au milieu des enfants démantibulés et des rescapés du peuple des géants, j’ai regardé ton jeu, ce que ton corps, ta voix, dit aujourd’hui de ta présence au présent.
et, de là où j’étais, siège 6, rangée Q, cela m’a paru bon, juste.
...irions-nous ainsi d'éclipse en éclipse ?