Testosterror de Luz
Sauf qui peut, les hommes et les couillus d’abord
Avec Testosterror, Luz caricature le mâle alpha pour montrer tout son côté bêta. Une bande dessinée dense et colorée, qui dessine la danse nerveuse d’une bande de petits durs qui ont peur de ne plus bander.
D’abord une odeur. Testosterror, je la sens dans sa matérialité, dans son olfactivité. Une énorme brique, brochée, qui hume un je ne sais quoi – mélange d’encre, de colle et de papier neuf ? Ou l’odeur de l’entrepôt avant sa livraison en librairie ? Quand je tourne les premières pages, s’en vient l’assaut des couleurs, à la fois vives et lavées. Des planches de dessins qui remplissent les recoins, riches dans leurs détails, volubiles dans les bulles de textes et de dialogues. Des traits qui animent les personnages, les distinguent par des caractéristiques marquées, des tronches et des corps vite reconnaissables.
Ancien dessinateur de presse (Charlie Hebdo) et auteur reconnu de BD (il a notamment gagné le prix Inrock 2022 pour Vernon Subutex, adaptation du roman éponyme de Virginie Despentes), Luz frappe ici du feutre pour proposer une BD qui gueule. Testosterror est en effet un petit monstre. Abondant, généreux. Un objet qui physiquement et visuellement exprime l’excès de l’histoire qu’il raconte. Un beau jour, un virus fait chuter le taux de testostérone des hommes. Pendant que certains se dopent par peur de perdre leur masculinité, Jean-Pat se retrouve contaminé, et finalement transformé dans son rapport aux autres et à soi-même.
Luz caricature – avec humour, finesse et/ou gros traits – une certaine masculinité (la toxique, la fameuse), et exacerbe ainsi l’idée bête que les hommes sont comme ils sont juste à cause d’une hormone : la testostérone. La BD est ainsi à lire comme le contrepied de l’idée tout aussi bête que les femmes sont comme elles sont juste à cause de leurs hormones.
En basant une partie de son intrigue sur un mouvement viriliste en lutte contre le virus et les changements de société qu’il apporte, Testosterror se fait l’allégorie de notre présent, où des masculinistes se sentant attaqués par le féminisme cherchent à mener l’offensive. Comme si remettre en question les logiques patriarcales, le machisme et ainsi de suite, c’était leur voler leur côté « mâle ». Et la BD, par l’art de la satire, montre l’ineptie de ce contre-combat pro-viriliste, dans lequel les masculinistes vont d’autant plus mettre en avant leurs attributs de violence, de guerriers, de force, d’agressivité, pour être de « vrais hommes » et – comme le père de Jean-Pat ne cesse de le dire – « sortir la boite à couilles ».
Peut-être que le livre pourra dérouter par la lisibilité de son message, qui ne se comprend que comme satire. En effet, Testosterror ne dépeint pas un réel où les comportements seraient avant tout sociétalement construits, mais bien une caricature drôle d’un monde où la biologie et les hormones règneraient et réguleraient tous nos faits et gestes. Si c’était le cas, il n’y aurait aucun espoir… Le livre n’est aucunement didactique, n’a pas de volonté pédagogique, si ce n’est de tendre un miroir et rendre visible la stupidité de l’homme qui veut être un « bonhomme », se faire mal à la main en serrant des pognes, boire des bières et tourner les saucisses sur la grille du barbecue. L’objectif est de se gausser, avant tout, des « gros durs ».
Le problème, c’est que le côté satirique, excessif, ne l’est parfois pas assez. Les propos tenus par les « mecs » de la BD font malheureusement beaucoup trop écho à des situations réelles, voire ne sont qu’un portrait fidèle de notre époque. Il est malheureusement facile d’entendre des personnes faire la promotion du « mâle » et du sexisme, essentialiser les genres, les rôles, les émotions et les interactions humaines. Si la caricature n’est finalement pas si caricaturale, la lecture peut laisser un goût amer après la dernière page.
Finalement, Testosterror étale ses grandes pages, vise juste, quelques fois à côté. Ça éclabousse de couillons et de beaufs, de répliques potaches qui font grincer. Des personnages qui agacent par leur justesse, qui attristent aussi… par leur justesse. D’autres qui font rire, car on se dit un instant que ce n’est pas possible d’être comme ça. C’est acide, de se prendre en pleine face l’éclat réfracté du réel, entre les pigments et l’effluve du papier neuf. Testosterror s’ajoute, de façon nécessaire, à la masse des œuvres artistiques critiques des mœurs de notre époque, en espérant qu’un jour il y en ait assez pour amorcer un changement.