The Dead Don’t Hurt
... mais la blessure est réelle
Passant pour la deuxième fois derrière la caméra, Viggo Mortensen livre avec The Dead Don’t Hurt un western touchant par son jeu d’acteur, mais creux dans sa narration. Multi-casquette, Viggo Mortensen endosse les rôles de réalisateur, d’acteur, de scénariste et de compositeur, pour le meilleur et pour le pire.
À l’aube de la guerre de Sécession, dans les années 1860, l’immigrant danois Holger Olsen (Viggo Mortensen) et l’immigrée franco-canadienne Vivienne Le Coudy (Vicky Krieps) tombent amoureux sur le port de San Francisco. Bien que la guerre civile se profile à l’horizon, Vivienne et Holger s'installent au Nevada dans la paisible et aride ville d’Elk Flats. Holger demande néanmoins à être enrôlé dans l’armée de l’Union, laissant par conséquent sa bien-aimée livrée à elle-même dans un endroit peuplé d’hommes corrompus et malintentionnés.
Dans cet univers western essentiellement masculin, la figure de Vivienne en tant que femme forte a toute son importance. Présenté par son réalisateur comme un film féministe, The Dead Don’t Hurt (traduit en français par Jusqu’au bout du monde) ne devrait pourtant pas être décrit comme tel. Certes, Vivienne Le Coudy n’a besoin de personne et sait tenir tête aux hommes. Certes, elle est très vite dépeinte comme le genre de femme indépendante qui ne peut être retenue par aucun homme, même riche. Cependant, la majeure partie de son existence à l’écran est davantage définie par l'absence d'Holger et par la présence d'hommes néfastes que par ses propres mérites. En conséquence, dans cet environnement hostile et malveillant, le jeu de Vicky Krieps est déséquilibré car elle oscille souvent entre l’espièglerie d’une petite fille qui se mord la lèvre et la détermination sans faille d’une femme très terre à terre. A contrario, Viggo Mortensen offre beaucoup de justesse dans son jeu : s’il n’excelle pas nécessairement dans l’écriture de scénario, il continue à bien se défendre en tant qu’acteur. Il y a tant de messages qui passent à travers l’une ou l’autre de ses expressions faciales que les dialogues en deviennent dérisoires pour communiquer.
D’ailleurs, les discussions restent très rudimentaires dans l’ensemble et l’économie de dialogues est bienvenue. Cet aspect confère de plus un superbe contraste entre les différents courtisans de Vivienne : du pompeux et ennuyeux Lewis Cartwright (Colin Morgan) qui palabre sans cesse pour ne rien dire, au loup solitaire et crasseux Holger Olsen qui dit juste ce qu’il faut.
Si le personnage d’Holger est avare de mots, le reste du casting l’est tout autant, ce qui laisse une place de choix pour la musique. Pour son deuxième long-métrage en tant que réalisateur, Viggo Mortensen s’est à nouveau prêté à l’exercice de la composition. Depuis tout petit, l’acteur joue en effet du piano, et à partir des années 90, il enregistre plusieurs disques en collaboration avec Buckethead notamment dans le studio de Travis Dickerson à Chatsworth. Pour The Dead Don’t Hurt, la musique a été écrite en même temps que le scénario et elle devait convenir à l’époque traitée. C’est pourquoi le Danois est resté cantonné aux codes classiques du genre. C’est-à-dire avec l’utilisation d’instruments tels que la guitare, la mandoline, l’harmonica, le piano désaccordé, l’accordéon, le violon, voire parfois le violoncelle. Ces codes contribuent à une sonorité tactile et terreuse qui convient parfaitement aux sentiers escarpés et aux canyons présents à l’image. Le son aigu des claves accompagne le personnage de Mortensen, solitaire, tandis que des airs de violon chaleureux et de douces harmonies soulignent les moments heureux de son mariage avec Vivienne. À aucun moment la musique ne dicte ce qu’il faut ressentir : il n’y pas de pathos musical inutile lors d’un drame, pas de mélodie pour remplir des dialogues creux, et les silences tranchent bien avec le vacarme propre à un saloon et aux tirs de pistolets.
Les codes du western n’échappent pas aussi à la cinématographie de Marcel Zyskind qui a également été directeur de la photographie sur Falling, le premier long-métrage de Viggo Mortensen. Cette esthétique du Far West avec ses grandes étendues naturelles et arides, ses cactus et ses virevoltants, ainsi que ses villages constitués de cabanes en bois a été trouvée au Mexique et en Ontario notamment. Malgré une première belle introduction à l’environnement avec le méchant Weston Jeffries (Solly McLeod) s’en allant au galop, laissant le corps sans vie de l’ancien postier Billy (Shane Graham) à Elk Flats, The Dead Don’t Hurt ne se démarque pas visuellement. Les belles intentions ne manquent pourtant pas en début de film, comme ce plan céleste où l’on s’approche d’une tombe fraîchement creusée, ou celui, un peu longuet, qui révèle enfin le visage de Viggo Mortensen. Il en est de même lorsque Holger revient de la guerre de Sécession : en quelques cadrages bien réfléchis, le spectateur comprend instantanément que Holger et Vivienne sont seuls, mais sous le même toit, et qu’il y aura un nouveau jeu de cohabitation. D’autres moments par contre sont plus maladroits, telle cette première scène d’amour qui propose de multiples coupes inutiles et des séquences durant lesquelles rien n’est visible, ou du moins juste le jupon en gros plan de Vivienne.
Comme nous avons pu l’évoquer, si Viggo Mortensen se distingue par son jeu, ce n’est pas le cas de son écriture. Si The Dead Don’t Hurt est une histoire de vengeance, celle-ci s’impose assez tardivement et le spectateur peine à comprendre les tenants et les aboutissants de ces représailles. Durant les deux heures de projection, plusieurs intrigues s’entremêlent, sans qu’aucune d’elles ne contribue à construire un fil rouge, ce qui donne un film narrativement très éparse avec des longueurs. Des éléments centraux, comme la décision d’Holger de s’engager dans l’armée, devraient être justifiés : Holger est dépeint comme un loup solitaire, n’ayant besoin de pas grand-chose pour vivre et s’intéressant peu à ce qui l’entoure. Il regrette d’ailleurs d’être déjà parti une première fois à la guerre, car il y a perdu un être cher. On comprend donc mal ce départ, que ce soit par patriotisme ou par simple sens du devoir. Des arrangements plus que douteux entre le père Jeffries (Garret Dillahunt) et le maire corrompu Rudolph Schiller (Danny Huston) n’aboutissent à rien également et rejoignent d’autres actions à l’écran qui ne contribuent pas à faire avancer l’histoire.
Il en va de même pour le développement des personnages qui sont cantonnés à une seule dimension. Weston Jeffries, notamment, mériterait d’être plus nuancé. Après une première apparition fracassante, sa ligne narrative stagne : nous comprenons très bien que c’est l'antagoniste de l'œuvre, mais il n’y a aucune profondeur dans ses motivations. Nous pourrions avoir de l’empathie vis-à-vis de ce personnage au travers de son père qui semble être le seul à l’aimer, mais ce n’est pas le cas. A contrario, Holger est dépeint comme le gentil au cœur d’or, ce qui est très simpliste. Est-ce pour répondre encore à d’autres codes du genre western ?
À cause de cet éparpillement de plusieurs lignes narratives qui ne contribuent pas à faire avancer l’histoire et qui ajoutent plus de complexité que nécessaire, le message du film est loin d’être clair et limpide. L’annonce des évènements se fait tardive et par à-coups et nous ne saurons jamais si Viggo Mortensen souhaitait nous faire suivre les pas de Vivienne ou de Holger, ni ce qu’il désirait transmettre à travers ses personnages.
The Dead Don’t Hurt est finalement un western assez conventionnel qui repose sur une histoire universelle. Divertissant, mais avec quelques longueurs dues à l’éparpillement scénaristique, le deuxième long-métrage de Viggo Mortensen bénéficie toutefois d’un style visuel élégant qui ne révolutionne pour autant pas le genre.