Après la Bohème et un peu avant le terrible Madame Butterfly , Puccini démontre par Tosca les ravages d’une peur incontrôlée et irrationnelle. Démonstration à l’Opéra royal de Wallonie-Liège.
Il existe beaucoup de citations sur la jalousie, qui disent toutes qu’elle naît de l’amour puis qu’elle le tue. Que si l’amour aveugle, la jalousie, elle, détruit.
Tosca , c’est l’histoire d’une cantatrice qui, si elle ne manque pas de confiance en elle sur les planches, a cruellement besoin d’être rassurée quand il est question d’amour. Elle est la maîtresse de Mario Cavaradossi, un peintre qui termine un portrait de Marie-Madeleine dans une église. Un beau jour – encore qu’il ne le fût pas –, un prisonnier débarque dans l’église. Il vient de s’échapper et se sait poursuivi. Il sait aussi que sa sœur, la marquise Attavanti, lui a prévu des vêtements de femme pour échapper aux policiers à ses trousses. Ce prisonnier, c’est Cesare Angelotti, un vieil ami de Mario. Fidèle aux traits de caractère et valeurs des rôles de ténor, Mario décide d’aider Cesare. Là-dessus déboule Tosca, qui enrage de voir que la Marie-Madeleine de son Mario est un peu trop blonde, avec les yeux trop clairs. Et Tosca est brune aux yeux noirs. Mario la rassure sur son amour et Tosca s’en va, suivie de peu par les deux hommes.
Débarque alors le terrible Scarpia, chef de la police, accompagné de Spoletta, son homme de main. Les deux hommes découvrent un éventail appartenant à la marquise et comprennent qu’elle a aidé son frère à s’échapper. Tosca revient, pensant trouver Mario à l’ouvrage, et se heurte au perfide Scarpia qui attise la jalousie de la cantatrice en agitant l’éventail devant son nez. Le plan de Scarpia est simple : capturer Angelotti et, pour le dire poliment, séduire Tosca. Pour le plaisir de faire souffrir. Par la force des choses, Mario est capturé et Tosca est séquestrée par Scarpia, forcée d’écouter les cris de son amant qu’on torture à portée d’oreilles. Mario la supplie de ne rien dire ; Tosca avoue, suite à quoi Angelotti se suicide. Scarpia propose alors à Tosca de ne pas tuer Mario et de les laisser quitter le pays si elle accepte de coucher avec lui. Le chef de la police ordonne à son sous-fifre d’organiser un simulacre d’exécution et signe un sauf-conduit avant de se faire poignarder par Tosca.
La cantatrice s’enfuit prévenir son amant de son plan : à la première salve de tirs, il devra tomber et ne se relever qu’une fois les soldats partis. Mais Mario ne se relève pas. Tosca se suicide, poursuivie par les hommes de Scarpia. Tosca n’aura donc pas eu à vivre avec son crime, mais elle n’aura plus à vivre du tout ; sa jalousie, croisant le chemin de la cruauté de Scarpia, a mené son couple à la destruction.
Tosca est un magnifique opéra de Puccini, créé en 1900 à Rome sur un livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa, d’après une pièce de Sardou (non pas Michel mais Victorien). L’argument n’est pas trop labyrinthique, comme c’est malheureusement souvent le cas à l’opéra, puisque Puccini entre ici dans le vérisme, côté musical du réalisme littéraire. Les airs sont splendides, chargés d’émotions sans être trop lourds. J’ai trouvé la musique assez moderne dans les images qu’elle dégage.
J’ai beaucoup aimé la profondeur des personnages. Ici, la femme, l’amoureuse si angoissée et incertaine (peut-être influencée par les rôles qu’elle incarne ?) prise au piège par sa jalousie, est prête à tout pour sauver son couple. Or l’histoire nous apprend qu’un homme perfide le restera : dans sa peur, Tosca croit ce qu’on lui dit et ne se méfie pas. La seule chose véritablement dangereuse pour elle, ce n’est pas Scarpia, mais bien l’éventail de la marquise. Elle ne pourrait pas supporter de ne plus être « tout » aux yeux de son amant. Elle ne comprend pas qu’un homme sans foi ni loi peut avoir un accès de bonté.
La religion a toute son importance dans cette œuvre. Le premier acte se déroule dans une église aux décors dépouillés mais superbes, avec une scène de Te Deum impressionnante par son mysticisme et ses couleurs dorées si fortes. Tosca prie beaucoup, Mario peint Marie-Madeleine et Scarpia dira à Tosca qu’elle lui fait oublier Dieu. Au deuxième acte, les vitraux des appartements de Scarpia dévoilent une sorte de chemin de croix fait de scènes de torture. Le troisième acte, quant à lui, est complètement vide de symboles religieux. La seule chose qui compte, c’est ce que Mario écrit sur le mur : « Amo Tosca. » Et on y croit, d’ailleurs, à cet amour, grâce au chant d’Aquiles Machado et Virginia Tola, si justes à la fois dans leur interprétation et dans leur jeu.
J’ai trouvé cette production très belle visuellement. Les décors, assez simples mais superbement réalisés, comme souvent à Liège, sont surtout mis en valeur par les lumières souvent dorées, jouant avec l’ombre. Elles atteignent leur paroxysme au matin de l’exécution de Mario, un matin qui avait pourtant l’air si doux. Cette lumière fait ressortir encore plus la tristesse du dernier air de Mario, E lucevan le stelle , que j’ai trouvé plus touchant que le célèbre Vissi d’amore, vissi d’arte chanté par Tosca. Mario se désole de mourir, car il n’a jamais autant aimé la vie qu’à cet instant. En parlant de chant, la puissance vocale du Scarpia de Marco Vratogna était ahurissante, ce qui a rendu la scène du Te Deum encore plus spectaculaire et saisissante.
Une production réussie pour un opéra tellement intense.