The lost room and The hidden floor
Avez-vous déjà eu peur en tant que spectateur ? Avec Triptych - The missing door, The lost room and The hidden floor , un spectacle de la compagnie bruxelloise Peeping Tom, vous ne pourrez pas y échapper.
Ouvre les yeux, le bateau coule. Essaye de retenir ce que tu peux. Mais les mouvements surpassent déjà les intentions premières. Entre rêve et réalité, où se situer ? Peut-être que l’entre-deux est la seule vérité. Et c’est peut-être là un des pièges fatals de l’être humain.
Triptych est l’agencement de trois pièces courtes créées en amont par Peeping Tom (en collaboration avec le Nederlands Dans Theater) et adaptées spécialement en vue d’un spectacle en trois tableaux. Le spectateur découvre en premier un espace plutôt neutre (un salon, peut-être ?) composé de portes exerçant une force particulière : leurs ouvertures et leurs fermetures entretiennent un rapport particulier avec ce qui se produit sur scène. Ce premier tableau est une scène de crime : un homme endormi est attablé, une dame est allongée sur le sol et le domestique nettoie le sang qui s’est écoulé. Tout au long de celui-ci, les personnages racontent une histoire énigmatique et macabre au moyen de mouvements mécaniques et répétitifs. Les corps sont agités et préoccupés. L’objectif est de représenter ce qui les lie et ce qui les délie. On peut avant tout remarquer un usage omniprésent de porter homme-femme traduisant des rapports de domination.
Le second tableau se situe dans la cabine d’un bateau dans laquelle s’exerce une danse sensuelle qui sera dérangée, hantée par un ensemble de manifestations symbolisant les fêlures du passé ou les peurs fantasmées du futur. Il est difficile de cibler où se situe le présent concret sauf peut-être dans le regard de cette domestique enfermée contre son gré sur le balcon et qui ne peut échapper à ce qui se déroule dans l’intimité du couple de cette chambre.
Le dernier tableau sombre dans un restaurant où progressivement tout se noie. Les corps des danseurs·ses se sont dénudés. La survie a envahi les rapports de force qui s’exerçaient entre les protagonistes. Leurs danses nous transportent dans leurs derniers pas, dans ce qu’on retient de leurs histoires, de leurs espoirs, maintenant que tout tangue pour de vrai, que tout est voué à finir.
Ce spectacle est un véritable thriller scénique : l’enjeu réside en la mise en tension de la salle en provoquant des sensations fortes telles que l’anxiété ou le dérangement et ce notamment, en décontenançant l’acuité visuelle. Dans les chorégraphies, des jeux d’optiques sont incorporés. Les différents tableaux sont chacun marqués de postures étranges. Les danseurs·ses se contorsionnent, ils performent tels des acrobates, ils s’amusent de leurs corps pour tromper l’œil du spectateur qui discerne des créatures surnaturelles. Les danseurs·seuses sont aussi difficilement distinguables, ce qui permet de mettre en scène des illusions de double et/ou de sosies qui déroutent le public. Ce sentiment de désorientation est également présent grâce à des jeux d’apparition et de disparition qui brouillent les perspectives spatio-temporelles de leurs actions.
Quant à l’ambiance lugubre, elle est suggérée par des bruitages particuliers, notamment des bruits de tonnerre, de tornade ou encore d’averses fortes, mais aussi des sons indéterminés grinçants et inquiétants. Ces ressentis sont renforcés par des claquements de porte, des jeux de lumière clairs-obscurs, des fenêtres permettant le voyeurisme ou encore de l’eau coulant véritablement sur scène.
Ces effets spéciaux rapprochent ce spectacle vivant du cinéma, tout comme la scénographie réaliste qui renvoie à l’imaginaire des plateaux du septième art : les différents espaces étant composés telles des boites à deux murs et sans plafond. Ceux-ci sont placés au milieu d’une grande scène, ce qui empêche de décrocher de l’idée que ce lieu a été aménagé.
Deux changements de décor ont d’ailleurs lieu durant le spectacle sous les yeux des spectateurs. Ces interludes sont véritablement mis en scène : un spot lumineux se déplace sur le plateau révélant des protagonistes figés dans leurs derniers gestes ou en train de changer le décor en jouant du regard avec le public. Faire le choix d’incorporer une mise en lumière particulière pendant le travail de la régie plateau permet de piéger l’attention du spectateur : sa curiosité est attisée et celui-ci décroche difficilement ses yeux de la scène malgré une action mise en attente.
Triptych est un spectacle qui enferme le spectateur dans un huis-clos de projections personnelles dont il essaye de démêler les faux-semblants en dépassant l’incertain. Bien que réveillé, le public vit un cauchemar sensoriel et sensitif.