« Tu viens d’où ? »
Si le monde aujourd’hui tend de plus en plus vers la multiculturalité et que l’anglais est (presque) devenu la langue véhiculaire mondiale, il est parfois bon de se replonger dans nos origines locales et de partir à la (re)découverte d’un patrimoine (presque) oublié.
Au beau milieu des champs du Brabant Wallon, il y a un petit village duquel toute ma famille paternelle est issue. On y a des anecdotes sur chaque maison, et la moitié des habitants du cimetière pourraient trouver leur place dans notre arbre généalogique. Après la guerre, ma famille est partie s’établir à Bruxelles avant de revenir, quelques décennies plus tard, dans un Brabant Wallon un peu moins rural, aux portes de la grande ville. J’ai toujours été fière de mes origines campagnardes, mais Bruxelles m’a vite semblée plus attrayante, plus vivante, avec son histoire, ses grandes avenues... La campagne est donc restée sagement là où elle était, et les betteraves ont poussé et ont été récoltées maintes fois avant que je ne me décide à jeter un autre regard sur mon héritage culturel.
L’idée d’apprendre le wallon m’a traversé l’esprit l’été dernier. Tout le monde connaît un petit mot ou deux de wallon, une insulte ( cinsi et autres vî gat’ !), mais personne autour de moi ne semblait capable de tenir une conversation normale (c’est-à-dire, sans inventer de mots ni lâcher des « nenni m’fi » à tout bout de champ). Un jour, je suis tombée sur une annonce de copin’rèyes (un genre de cours/tables de conversation) qui se déroulaient à Louvain-La-Neuve pendant l’année : ça tombait bien dans mon horaire, c’était gratuit et ça avait l’air sympa.
Les premières minutes sont ardues : je reconnais quelques mots, j’essaie d’organiser les phrases dans ma tête. On rit devant certaines expressions, on se retourne les méninges devant d’autres. Un premier tri se fait entre le vocabulaire bruxellois et celui entendu pendant l’enfance. Petit à petit, les choses prennent leur place et cette question surgit : pourquoi n’ai-je jamais touché à cette partie de mon patrimoine culturel ? À cause de sa réputation ?
Le wallon était la langue prédominante en Wallonie jusqu’au début du XXe siècle. Après les guerres, le français a été imposé dans les écoles et le wallon a progressivement été perçu comme inélégant et a été très vite stigmatisé. À Liège, il y a aussi eu, dans les années 1960, une volonté d’éradiquer l’accent dès l’école primaire . Cependant, il y a toujours eu des défenseurs de nos langues régionales, comme par exemple Michel Francard, professeur émérite à l’UCLouvain, qui a contribué à plusieurs dictionnaires de langue française et de parlers régionaux. Il a également fondé le Musée de la Parole en Ardenne qui recueille des enregistrements (notamment en wallon) afin de perpétuer la transmission de ce patrimoine culturel.
Le wallon possède cependant un argument de taille : un capital sympathie considérable, qui nous rapproche entre provinciaux, qui nous réunit dans les fêtes de village, qui nous fait sourire devant des expressions incongrues ( c’èst toudi lu ptit k’on spotche ! 1 ). Et c’est comme ça que je me suis retrouvée à vivre un petit moment surréaliste : partager quelques mots avec ma grand-mère maternelle dans sa langue natale. Elle était d’abord gênée, presque honteuse. « C’est pas beau ! » qu’elle dit. J’insiste, je tente une autre approche en glissant une ou deux petites expressions dans mes phrases. « Pose-moi une question », qu’elle demande. L'échange n’a duré qu’une trentaine de secondes, mais c’était absolument incroyable de la voir s’exprimer dans une autre langue. En écoutant mieux ses tics de langage et son accent en français, je me rends compte que sa langue maternelle a laissé des traces : par exemple celle d’une hyper-correction des mots en -ile , comme « famille », qui se dit « famile » en wallon. Combien de fois ne l’ai-je pas entendue dire « tiens-toi tranqui ! ».
Le wallon est partout autour de nous, et avec ce dossier, j’espère vous donner envie de le regarder d’un autre œil !