Une Flûte enchantée sur air léger
En ce début de saison, l’Opéra de Berlin propose une version colorée et détonante du plus célèbre opéra de Mozart, la Flûte Enchantée .
Alors qu’il est poursuivi par un serpent gigantesque, le jeune prince Tamino est sauvé par les trois dames de compagnie de la terrifiante Reine de la Nuit, dont la fille, Pamina, a été enlevée par le puissant prêtre Sarastro. Tamino tombe instantanément amoureux du portrait de la jeune dame et décide d’aller la secourir. Il sera aidé dans sa tâche par Papageno, un oiseleur indomptable au célibat pesant, ainsi que par trois jeunes garçons dotés d’une sagesse admirable. Tamino, Papageno et Pamina se rendront bien vite compte que le véritable méchant de l’histoire n’est pas celui auquel on pense, et ils devront traverser les épreuves imposées par Sarastro pour atteindre la Lumière et l’Amour.
Le rideau de la magnifique salle du Staatsoper Unter Den Linden s’ouvre sur une première scène déroutante : un Tamino volant fait son apparition, les mains et la taille reliées au plafond par de longues cordes jaunes, comme un Astro Boy aux gants de boxe rouges qui survole un jardin. Il cueille une pomme avant de se faire attaquer par un serpent-dragon sorti tout droit de la tradition du théâtre bunraku : la grande marionnette est manipulée par trois danseurs entièrement vêtus de noir. Débarquent ensuite les trois dames, ou plutôt une espèce de monstre à trois têtes, volant lui aussi, qui aurait pu être créé par Miyazaki. Les questions se bousculent : est-ce le jardin d’Eden ? Pourquoi Tamino a-t-il une voix d’enfant ? Et ces cordes jaunes, et ce faux rideau rouge tombant sur la scène d’un château en carton ? À l’entracte, on réfléchit à ce qu’on vient de voir. Sans pouvoir nous aider d’une traduction française ni même anglaise du livret explicatif, les interprétations fusent. Et puis mon frère ouvre une première porte : l’histoire est racontée par un enfant. D’où les personnages aux costumes rocambolesques et les voix enfantines. Au deuxième acte, je laisse mon imagination se promener jusqu’à une scène de La Mélodie du Bonheur , quand la famille Von Trapp chante une chanson via un théâtre de marionnettes. Quand les enfants et leur théâtre finissent par apparaître sur scène, le franc tombe et enfin les enchaînements d’idées saugrenues s’expliquent. La mise en scène décalée proposée par Yuval Sharon donne un nouveau souffle à l’œuvre si célèbre de Mozart. Pour une fois, je n’ai pas trouvé le temps long durant le second acte, plus chargé en symbolique franc-maçonnique et souvent bien moins léger que le premier. Et cela grâce à la créativité sans limites du metteur en scène à l’univers coloré.
Le talent et la polyvalence des chanteurs contribuent grandement à la réussite de cette mise en scène excentrique : ils chantent et tournoient dans les airs ou sont engoncés dans leurs costumes, mais rien de cela ne les empêche de briller. Par exemple, l’air de la Reine de la Nuit (Nicola Proksch), le moment le plus attendu et espéré du deuxième acte, m’a donné la chair de poule et m’a mis les larmes aux yeux. Autre élément notable, Papageno (Florian Teichtmeister) était joué par un acteur de théâtre au lieu d’un chanteur lyrique, dans la tradition du librettiste Schikaneder. Tout cela superbement dirigé par la cheffe d’orchestre mexicaine Alondra de la Parra.
Tous ces ingrédients offrent au spectateur une lecture légère et accessible de la Flûte Enchantée , en mettant un peu de côté les questionnements philosophiques et la symbolique parfois obscure de l’argument. Seule Pamina, l’espace d’un instant, se demande pourquoi une voix parle à sa place, mais cette intervention ne perturbe en rien l’ensemble.
Notons aussi qu’une autre Flûte Enchantée , plus traditionnelle, mise en scène par Everding, sera donnée au printemps 2020 au Staatsoper, avec une distribution presque identique à celle de la version de Sharon.