« Pourquoi pleurez-vous, m’avez-vous cru immortel ? » Voilà ce qui, selon la légende, a été une des dernières phrases adressées par Louis XIV à ses valets de chambre, sur son lit de mort. Trois siècles plus tard, c’est Vampyria de Victor Dixen qui le ressuscite, en réécrivant la fin du Roi-Soleil comme le début d’une nouvelle époque. Dans ce nouveau roman jeunes adultes publié chez Robert Laffont (Collection R), Louis XIV meurt à l’aube du 1er septembre 1715 uniquement pour naître à la nuit et devenir le tout premier vampire sur Terre.
Imaginez. À quoi ressemblerait notre monde, si le Roi-Soleil, devenu Roi des Ténèbres, était encore aujourd’hui le monarque absolu non seulement de la France mais aussi de toute l’Europe, asservissant les rois et reines des alentours en échange de leur immortalité ? Visualisez. Les mœurs du XVIIe siècle envahissant nos années 2020 ; une robe en jeans à la mode de Versailles. Le sang substituant l’argent comme seul impôt acceptable, comme luxe et richesse, comme unique obsession des puissants. Le Dieu catholique remplacé par la force mystique des Ténèbres, un cinquième élément permettant la transmutation de mortels en vampires et engendrant par la même occasion une série d’abominations incontrôlables. Victor Dixen nous entraîne, une fois de plus, dans un univers foisonnant et original, avec son brio habituel .
L’auteur innove avec cette nouvelle série de romans tout en restant fidèle à lui-même. S’il quitte le genre de la science-fiction ( Phobos , Cogito , Extincta ) pour se lancer dans l’uchronie, s’il teinte son récit de tonalités plus sombres, plus violentes, plus baroques, on reconnaît aisément sa voix : une héroïne « animale » (Jeanne la belette devenue Diane l’hermine rappelle ses sœurs Léonore la léoparde de Phobos et Roxanne la clébarde de Cogito ), un couple d’hommes homosexuels touchant et secret, un groupe de jeunes originaires des quatre coins du monde… J’ai personnellement perçu ces reprises et similitudes avec les œuvres antérieures de Dixen comme des petits clins d'œil destinés au lecteur initié. Dans Cogito , un bref passage renvoyait d’ailleurs déjà implicitement à Phobos . Quant aux thématiques plus profondes récurrentes chez l’écrivain, elles correspondent très probablement aux centres d’intérêt de ce dernier : on connaît par exemple l’importance des voyages chez Dixen et la manière dont ces derniers nourrissent son écriture et l’inspirent dans la création de ses personnages. Plus que tout, c’est sa dialectique désormais typique entre le rêve et le cauchemar que l’on retrouve à nouveau dans cette série de romans. Dans le cas de Vampyria , ces deux opposés cohabitent à travers la superposition de deux points de vue : celui des vampires, qui dictent les coutumes et les lois au gré de leur fantaisie, et celui du « quart-d’état », converti en bétail et en marionnette pour le bon plaisir de l’élite.
La France se meurt de la vie éternelle des immortels de Versailles.
Jeanne Froidelac, la protagoniste, est prise entre ces deux extrêmes. Roturière auvergnate de naissance, elle décide, lorsque les vampires massacrent l’ensemble de sa famille, de se faire passer pour la noble de sa région, Diane de Gastefriche, et de monter à Versailles pour se venger. Elle atterrira à la Grande Écurie, l’école la plus prestigieuse du pays qui forme les jeunes nobles avant leur entrée à la cour des vampires. Animée par un désir bouillonnant de revanche et évoluant dans un environnement étranger et hostile, Jeanne est forte, enragée. Elle n’hésite pas à tuer de sang-froid à plusieurs reprises pour assurer sa propre survie, à mentir, à manipuler, à ironiquement devenir de plus en plus proche de ces monstres qu’elle cherche si désespérément à éliminer. Plusieurs rencontres, événements et prises de conscience l’aideront à se remettre en question, à réaliser l’importance de réfléchir plus loin que sa pulsion vengeresse, même si la douleur du deuil restera très vive et continuera de motiver ses actions. Jeanne est un personnage qu’on a du mal à apprécier mais qu’on comprend profondément et qu’on ne peut s’empêcher d’admirer.
Les grands changements ne se nourrissent pas de vengeance, ma fille, mais de vision. La vengeance nous accroche à ce qui n’est plus, comme une chaîne au passé. Mais la vision nous projette vers ce qui n’est pas encore, tel le souffle du futur !
La trame est brillamment filée; le rythme, soutenu. Les scènes, entraînantes et inventives, sont écrites avec style et efficacité. Elles regorgent d’évènements et de retournements de situations nombreux et toujours intéressants. L’auteur ne cesse de nous surprendre car en aucun cas il ne recycle ses œuvres précédentes. Les enchaînements sont parfois peu crédibles mais ce n’est pas forcément problématique pour autant. Si l’on accepte de rentrer dans le jeu et de se laisser porter par la puissance de l’imaginaire de l’auteur, on ne peut qu’être comblé. En outre, Dixen s’est bien documenté sur le mythe du vampire et la vie à la cour de Louis XIV. Il parvient à la fois à respecter leurs codes et à se les approprier complètement.
Un roman à découvrir, mais gare à l’insomnie. J’ai en effet commis l’erreur de le commencer en soirée. Je n’ai été capable de le fermer qu’à l’aube, une fois ma lecture achevée. Cela m’a peut-être permis cependant de m’immerger encore davantage dans l’univers de Vampyria , où la nuit est jour et le jour est nuit…