Le Musée des contradictions d'Antoine Wauters explore notre société. Sous des airs dystopiques, il reflète un monde cruellement vrai. Retenu parmi les finalistes du prix Goncourt de la nouvelle, ce livre cisaille autant qu’il éveille !
Le Musée des contradictions est un recueil de douze discours en colère. Dans chacun d’eux, Antoine Wauters prête sa plume à une voix collective impersonnelle qui apostrophe quelqu’un en vue de témoigner des dysfonctionnements de notre monde actuel. La société y est autopsiée sous tous ses angles, notamment grâce à une multiplication de voix et d’adresse : ça peut tout autant être des femmes qui parlent à leur mari qu’un discours adressé à Dieu par des personnes seulement caractérisées par la peur. Ces douze développements rhétoriques dénoncent et percutent nos manières de vivre, il est difficile en tant que lecteur de rester neutre face à ce qui y est exprimé.
Le monde décrit est cruellement le nôtre. Chacun des discours concerne le lecteur directement ou lui fait penser au cas de quelqu’un qui lui est proche ou dont il aurait entendu parler. J’ai personnellement été touchée par cette fille qui parle à sa grand-mère morte de son rapport à la technologie dans le Discours d’un pays rétréci : elle se questionne avant tout quant à la difficulté qu’ont les jeunes de se satisfaire d’activités vécues dans le moment présent sans s’inquiéter que quelque chose de mieux se passe ailleurs. Alors que dans le Discours d’au-delà du monde , j’ai été émue par la réflexion sur la naissance d’enfants dans ce monde. Les thèmes abordés sont variés, autant concrets que spirituels et les discours questionnent, dans tous les sens, la condition humaine.
Prier, non. Mais le silence nous a semblé être un animal fabuleux, qui, bien qu’invisible, circulait dans la nef, derrière l’autel, partout. On est restés comme ça, à prier et penser. Puis, de peur que quelque chose se passe en notre absence, ou de louper un truc, on a envoyé des messages aux amis. Pour être sûrs. Et tu sais quoi ? Alors qu’on jetait sur nos écrans des regards à intervalles dangereusement proches, quelque chose s’est calmé, s’est tu, et on s’est mis à respirer plus paisiblement, car rien ne se passait en notre absence, tu vois. Rien de significatif. Rien de plus important que ce qui se tenait là, dans cette bougre de basilique. Rien de rien, Mamy.
Tout le livre est traversé par la question de l’espoir. Les discours ont souvent deux temps : au départ, ils sont le lieu d’une rage déversée, mais vers la fin de ceux-ci, ils deviennent touchants. D’une rage empathique, le lecteur passe à de la compassion. D’ailleurs, le rythme des textes suit ce mouvement : les phrases sont tranchées et le style oral du discours renforce une certaine cadence de lecture. Les phrases deviennent ensuite, vers la fin des discours, plus longues et plus poétiques, soulignant un aspect plus sentimental. Dans ce déferlement de vérités sombres et fatales, une humanité à laquelle s’accrocher essaye de percer.
Certes, nous pourrions être contaminées par la joie, mais les temps sont ce qu’ils sont et la douleur frappe. Elle frappe. Un jour, on se surprend à avoir mal aux arbres, aux oiseaux. Le lendemain, à l’avenir, aux jeux de nos enfants. On cherche le moyen de guérir. Où espérer ? À quoi s’accrocher ? On cherche un nom pour les siècles à venir. Un nom décent. Un nom possible.
Il ne faut pas prendre peur face à ce texte philosophique et politiquement engagé. Celui-ci est accessible puisque les mots y sont simples bien que les idées y soient complexes. En outre, l’écriture de Antoine Wauters est extrêmement poétique : certaines phrases se relisent pour la beauté avec laquelle les mots y sont assemblés. Les faits qui y sont dénoncés sont abordés à travers des vécus, ce qui permet au lecteur d’être proche des voix qui s’élèvent et de partager leurs ressentis quant à ces injustices. Petite anecdote : des expressions belges se remarquent, par exemple « avoir toutes les frites dans le même sachet ». Il est certes parfois difficile de saisir en un éclat d’esprit tout ce qui est dit, mais c’est un livre auquel on repense et dans lequel on se replonge tant les vérités nommées infusent l’esprit.
Avec Le Musée des contradictions , Antoine Wauters représente notre monde avec des effets d’amplification ou de réduction, il écrit avec ses nerfs l’humanité.