critique &
création culturelle
Mais au fond,
Et si l’amour c’était aimer ?

L’auteur français Fabcaro explore les voies insaisissables de l’amour à travers une bande dessinée à l’humour plus que décapant.

Imaginez la scène. Un jeudi, au début de l’après-midi : vous avez mangé et vous vous posez dans le canapé. Il pleut. Vous n’avez rien à faire, alors vous allumez la télévision. Vous zappez le téléachat et les dessins animés, et vous tombez sur un feuilleton à l’eau de rose, pourtant sans grand intérêt, mais qui vous captive inexplicablement. En quelques minutes, vous vous passionnez pour l’histoire d’amour impossible de deux personnages dont les prénoms sonnent américains. Et plus le scénario est tordu, plus vous piaffez de connaître la suite.

Et si l’amour c’était aimer , l’incroyable bande dessinée de Fabcaro, reprend le même schéma qu’un film romantique ou qu’un épisode d’ Amour, gloire et beauté . Le réalisme des dessins, au style de roman-photo, nous permet de croire encore plus à l’histoire d’amour qui vit, meurt ou survit au fil des pages. Les péripéties des personnages sont régulièrement entrecoupées par les commentaires de « téléspectateurs » divers et variés : des personnes âgées qui étalent leur savoir, des amis au cours d’un dîner où les couples se comparent avec ceux de l’histoire, ou encore des élèves de primaire qui essaient de comprendre les allusions sexuelles des dialogues.

Tout allait pour le mieux pour Sandrine et son mari Henri, jusqu’à ce qu’elle décide de commander de la macédoine chez Speed Macédoine et qu’elle ouvre la porte à Michel, le livreur, chanteur de rock à ses heures perdues. Les deux amants décident de vivre leur idylle naissante en tâchant qu’Henri ne se rende compte de rien. Sandrine, Henri et Michel remettent l’amour en question, s’en rapprochent et s’en éloignent pour essayer de mieux le définir. Mille états d’âme ressortent du grand fracas causé par une tromperie découverte, ce qui vaut aux personnages une kyrielle de réflexions plus pointues les unes que les autres en matière d’amour et d’humour.

Tu sais, Bruno, l’amour est une petite chose fragile et insaisissable… Un jour elle est là, comme un poney qui galope dans l’enclos des jours heureux, et puis un jour, pof, elle a disparu, elle s’est échappée et elle s’est fait écraser par une voiture de location sur la piste d’aéroport de la vie… Alors le poney n’existe plus, on croit qu’il est encore là car il survit dans nos cœurs, mais en réalité il est mort, son âme s’est envolée vers l’arc-en-ciel de l’indifférence… Tu comprends ?…

L’auteur, Fabrice Caro dit « Fabcaro », a travaillé pour des magazines de bande dessinée et a déjà publié plusieurs albums chez divers éditeurs, oscillant entre autobiographie ( Steak it easy ) et fiction ( Zaï Zaï Zaï Zaï ) en portant toujours un regard critique, voire moqueur, sur la société et les individus qui la composent. J’ai beaucoup aimé son Jean-Louis , un prof de quarante ans enfoncé dans la beaufitude qui débarque dans une nouvelle école où il enchaîne les gaffes sans s’en rendre compte – ou pire, en pensant bien faire. L’auteur publie aussi chaque semaine dans l’édito du Journal de Spirou , chaque fois avec plus d’inventivité.

Ce que j’ai absolument adoré dans Et si l’amour c’était aimer , c’est l’humour complètement décalé, qui va dans le même sens que celui de la série québécoise Le cœur a ses raisons , parodiant également les séries américaines à l’eau de rose en suivant le quotidien mouvementé de la famille Montgomery. Dans ces deux caricatures, tout (ou presque) est pris au premier degré, voire au degré zéro, et c’est par l’absurde que Fabcaro traite la naissance des sentiments, la tromperie, le manque, la routine et les fins heureuses.

C’est à ce moment-là qu’on éteint la télé en soupirant, qu’on se redresse dans son fauteuil et qu’on se dit que même si c’est quand même un peu bête, au fond l’amour, c’est juste aimer.

En bonus, un extrait de Le cœur a ses raisons.

Même rédacteur·ice :

Et si l’amour c’était aimer ?

Dessin et scénario par Fabcaro

Éditions Six Pieds sous terre, collection Monotrème, 2017

56 pages