Dans Plaisir des météores , Marie Gevers explore avec poésie l’évolution de la nature au cours des douze mois de l’année. Un texte laborieux, car loin de mon horizon d’attente de lecteur contemporain.
« Les météores ? On a pris l’habitude de ne nommer météores que les astres errants, les étoiles filantes ou la foudre. Or, tous les phénomènes qui se passent dans l’atmosphère répondent à ce beau nom. La grêle, le brouillard et les pétales de la rose des vents sont des météores, ainsi que le givre, le grésil et le dégel, l’arc-en-ciel et le halo lunaire, et aussi, les silencieux éclairs de chaleur où se libère l’angoisse des nuits de juillet ; météores enfin le rougeoiement des couchants et les lueurs vertes de l’aube. »
Pour une fois, j’écrirai cette critique en « je », afin d’épouser pleinement ma subjectivité de lecteur, car, oui, je n’ai pas accroché au roman, mais je ne souhaite pas faire de mon expérience une généralité.
On peut comprendre l’engouement des éditions Espace Nord pour la réédition de ce roman datant de 1939. Marie Gevers propose, inconsciemment et avant même les préoccupations écologiques actuelles, une sorte de manifeste qui, en mettant en avant la nature, invite à la protéger. Toutefois, si j’ai apprécié l’aperçu de ce monde passé, plus simple, où l’homme semble en harmonie avec la biosphère, le récit s’éloigne trop des critères de fond que j’attends d’un roman, notamment la présence d’une histoire emmenée par des personnages.
L’objectif du livre est en effet davantage de dépeindre une nature qui change au fil des saisons que d’explorer la relation entre l’homme et son environnement. L’humain n’est donc que secondaire dans cette trame et, en tant que lecteur, il m’est difficile de m’intéresser à un roman qui ne raconte pas l'histoire, fictionnelle ou non, d’un ou plusieurs individus. Les seuls moments plaisants du livre de Marie Gevers ont ainsi été pour moi les trop brèves et trop peu nombreuses anecdotes concernant les personnages du village. En outre, dans ces moments-là, bien qu’elle perde en poésie, l’écriture gagne en simplicité et efficacité.
Si Plaisir des météores présente une qualité formelle indéniable ‒ un style imagé et travaillé ‒ le roman se rapproche davantage d’un essai poétique, curieux d’explorations botaniques et météorologiques. Le jeu y est de dépeindre en mots colorés différents savoirs sur la faune, la flore et les météores, à la manière d’un almanach encyclopédique. Le style y est profondément naturaliste, mais, sans la présence d’un réel récit, comme l'a fait bien auparavant Camille Lemonier dans Un mâle , la poésie se perd dans de longues descriptions.
Ma lecture a cependant mené à une réflexion sur la réception d’une œuvre littéraire en général. En effet, je pense que les problèmes auxquels j’ai été confronté lors de ma lecture de Plaisir des météores résultent d’un désaccord entre les objectifs de l’œuvre et ma propre vision de ce que j’attends d’un roman. Mon regard anthropocentré, s’il peut comprendre l’importance d’accorder sa place à la nature en littérature, demeure perdu lorsqu’il ne peut s’accrocher à un individu auquel les conflits internes ou externes permettent de s’identifier. Pour accomplir ce procédé d’identification, le texte de Gevers percevra la nature par le prisme d’une vision que je trouve légèrement caduque, même si elle pourrait en partie être liée aux biais mentaux de l’époque de la première publication. La nature est ainsi personnifiée de manière prononcée. Gevers donne des dialogues aux plantes et aux animaux. Les vents et autres phénomènes météorologiques se meuvent de façon consciente. Le souci de ce type de procédés est qu’il résulte d’un anthropomorphisme qu’il serait temps de dépasser si l’on désire réexplorer la relation homme/nature. Néanmoins, ce n’est clairement pas l’objectif du roman et le défaut que j’évoque n’en est un qu’à partir du moment où l'on souhaite faire dire à l'œuvre un discours écologique.
« Mes feuilles promettent d’être belles, dit la rhubarbe, mais quelle délicate besogne que de les déplier, de les défriper. Je m’y mets dès l’aurore, tout le jour, jusqu’au soir, et je travaille même la nuit, s’il pleut chaud ! »
On peut très certainement remettre en contexte le roman afin de mieux pouvoir l’apprécier, le laisser parler selon les codes de son temps et les intentions premières de l’auteure. Néanmoins, l’intérêt de la contextualisation est pour moi d’un ordre purement académique, voire théorique, et loin des émotions que j’attends d’un texte brut, c'est-à-dire sans appareil critique pour l’accompagner et orienter mon appréciation. Je dois l’avouer, après un master en langues et littératures durant lequel j’ai passé des heures à analyser des textes pour en excaver l’essence désincarnée, je suis davantage en recherche d’une littérature qui sait parler d’elle-même. Bien entendu, il demeure dans Plaisir des météores une émotion esthétique, la délicatesse du style de Gevers, mais aussi une émotion liée à l’exploration de la nature et de la beauté qui s’en dégage. Toutefois, ces émotions restent selon moi superficielles, comme un commentaire sur le monde. La postface de Véronique Jago-Antoine est néanmoins intéressante pour qui chercherait à décrypter davantage l’œuvre.
« Il pleuvra, il pleuvra, dans le crépuscule, dans la nuit tombante, dans la nuit close. L’aube de demain viendra sans doute dissiper les nuées. Les lambeaux détachés des nuages s’éparpilleront dans le ciel et sur les champs, glisseront sur les chemins, sortiront des bois, marcheront vers les rivières, flotteront sur le fleuve. Au lever du soleil, vous verrez que l’automne a enfin été accepté. »
Il est parfois des œuvres dont les objectifs de fond et de forme s’opposent tant à vos attentes que la lecture en devient ardue. Plaisir des météores n’est pas un mauvais roman, il accomplit parfaitement le descriptif poétique des mois et des saisons, laissant volontairement l’humain en arrière-plan ou sur le côté. Mais Plaisir des météores n’est pas non plus un « roman » au sens où je l’entends, c’est-à-dire le récit de personnages, auxquels on s’identifie et on s’attache au point de vouloir en connaître le devenir. Le regard qui observe la nature y est de plus celui d’une tout autre époque, et aura du mal à répondre pleinement aux questions écologiques et climatiques qui se posent de nos jours.