critique &
création culturelle
Digable Planets
Toujours aussi cool like dat

Vingt ans après leurs deux albums entrés dans la légende du hip-hop, on a retrouvé ce dimanche 20 novembre les trois MC des Digable Planets au VK pour le concert le plus cool de l’année !

Il faut se le rappeler, lorsqu’il sort en 1993, le premier album des Digable Planets,

Reachin’ (A New Refutation of Time and Space

), troue littéralement le plafond du hip-hop américain. Jamais auparavant avait-on entendu ce parfait équilibre entre un son jazzy et un flow précis, calme et groovy : même le meilleur des productions d’un Prince Paul ou d’un DJ Premier évoluait toujours dans un univers plus funk, teinté d’une désinvolture joyeuse ou grave, certes géniale mais toujours empreinte d’une course à la virilité qui semblait inhérente au genre.

Chez Digable Planets, c’est tout autre chose : sans renier la street mais en oubliant quand même la credibility , on loucha dès le départ vers Miles Davis plus que vers George Clinton. Leur titre phare, encore aujourd’hui, Rebirth of Slick (Cool Like Dat) renvoie d’ailleurs directement au Birth of the Cool de 1957.

Les jeunes Digable Planets.

Un an plus tard, en 1994, Blowout Comb enfonce le clou et Black Ego , en plus d’être selon moi l’un des cinq meilleurs morceaux des années 1990, les situe d’autant plus dans une tradition de la musique afro-américaine politisée. Poussant le mimétisme assez loin avec Miles, les Digable avaient même feint à l’époque de découvrir lors de leur passage à Montreux que le jazz en Europe était l’affaire de la bourgeoisie blanche…

Aussi éphémère que marquante, la carrière des Planets se prolongea ensuite selon des trajectoires variables. Doodlebug continua à perfomer au sein de divers groupes et en solo, mais plutôt discrètement ; Ladybug s’imposa doucement comme l’égérie classy et roots de tous les amateurs de hip-hop, en solo ou en compagnie de camarades prestigieux ; Butterfly, alias Ishmael Butler, s’exila d’abord à Seattle pour apprendre à maîtrise la guitare et revint ensuite avec plusieurs projets – le jouissif Cherrywine puis, plus récemment, le formidable Shabazz Palaces.

Mais retour sur la scène du VK, ce soir-là. Ce n’est pas seulement le trio qu’on retrouve : les voilà accompagnés d’un backing band épatant dont je cherche en vain, depuis une semaine, à trouver la trace. Qui est cet incroyable batteur qui nous gratifia d’un solo immortel de près de dix minutes ; qui sont ce guitariste, ce claviériste, ce bassiste et ce percussionniste qui pourraient franchement embarquer dans le Mothership, voire même carrément le détourner vers de nouvelles destinations ? Ce soir-là, c’était clair, space was the place !

Et s’il n’y eut rien de neuf sur la planète, chaque reprise issue de l’un ou l’autre des deux albums aura été réinterprétée magistralement. Pas de réchauffé : tout sonnait parfaitement comme hier mais paradoxalement ce son-là était ultra-contemporain. La plupart des morceaux étaient joués légèrement up tempo, ou alors, au contraire, nettement plus lentement, offrant toujours un décalage jouissif au public de connaisseurs. (Oui, autant l’avouer franchement, on trouvait pas mal de vieilles bûches dans mon genre au VK ce dimanche soir…)

Les vieux Digable Planets.

Doodlebug reste sans doute l’élément le plus neutre du trio, on sent que son univers musical reste marqué par un rap traditionnel, du plaisir ferme et immédiat. Ladybug, elle, a fait dresser les poils de tous les spectateurs dès qu’elle a ouvert la bouche : son timbre de voix et son flow constitue un miracle trop rare, et on néglige trop son apport à la noble généalogie des grandes voix de la soul. Cependant c’est encore et toujours Butterfly qui fait battre le cœur de cette planète. On le sent peut-être un peu plus coincé que ses deux camarades lorsqu’il s’agit de reprendre des chansons là où ils les avaient laissées vingt ans auparavant. Son flow reste reconnaissable mais il a tant évolué qu’on entend plutôt une sorte de version remixée des verses d’époque. Ce timbre adolescent a totalement disparu. C’est désormais trente ans d’expérimentations musicales qui transgressent et subvertissent ces raps tant entendus.

Très technique comme compte rendu ? Forcément, car l’essentiel était ailleurs : dans la magie saisissante installée par le groupe et réclamée par la salle. Dans l’impression immédiate d’avoir assisté à l’un des meilleurs concerts de cette année.

Même rédacteur·ice :

Digable Planets
Leur site .
Leur https://www.facebook.com/OfficialDigablePlanets /?fref=ts »>page Facebook.
Le site du groupe Shabazz Palaces , projet d’Ishmael Butler alias Palaceer Lazaro. Un < a href= » http://karoo.me/musique/shabazz-palace-lese-majesty-une-bombe-a-retardement « >article a été publié sur ce groupe dans nos pages.