La Donna del Lago
relire le passé
22 mai 2018 par Héloïse Copin dans Scène | temps de lecture: 6 minutes
Deux ans après avoir été représenté au Rossini Opera Festival de Pesaro, la Donna del Lago, en coproduction, arrive à l’Opéra Royal de Wallonie. Le metteur en scène Damiano Michieletto nous fait voir l’histoire d’un autre point de vue : celui du temps passé.
Ça, c’est pour l’histoire telle qu’on la trouve dans le livret d’Andrea Leone Tottola, basé sur un poème narratif de Walter Scott. Dans la version proposée par le metteur en scène italien Damiano Michieletto, deux nouveaux personnages font leur apparition dès le lever de rideau : Elena et Malcolm, cinquante ans plus tard. Le rideau se lève sur le salon d’Elena et de Malcolm, deux petits vieux semblant mener une vie banale. C’est l’anniversaire de la mort du roi, duquel une photo est posée sur la table. Commence la pantomime. La tristesse d’Elena enrage Malcolm, qui claque la porte et la laisse se remémorer le jour où elle a rencontré le roi… et où elle en est tombée amoureuse.

Le salon s’envole alors vers le plafond, découvrant un décor absolument époustouflant : la maison de d’Elena, une gigantesque bâtisse presque en ruines. On dirait qu’une bombe a crevé le toit, qu’un déluge a décollé les papiers peints et qu’une tornade a renversé les chaises. La maison semble se dresser au milieu du lac, posée là. Impossible de savoir si ce sont les plantes qui ont poussé dans les ruines, ou le contraire. Le décor, conçu par Paolo Fantin, sert vraiment à l’histoire : pour faire comprendre le flash-back, il joue d’abord sur la transparence. Ainsi, le mur bleu du salon devient peu à peu transparent pour laisser apparaître le chœur. Ensuite, le spectateur n’a aucun mal à comprendre que le temps a passé et a laissé son empreinte sur les souvenirs d’Elena.
Ces ruines témoignent également du romantisme de l’œuvre. Cet opéra a été créé en 1819, ouvrant la période romantique du jeune Rossini (après les succès de Il Barbiere di Siviglia et de La Cenerentola). Les principales caractéristiques du courant se retrouvent à la fois dans le livret et dans les décors : l’importance de la nature, l’expression du moi en souffrance (par exemple, Malcolm se plaint beaucoup du manque qu’il ressent, loin d’Elena), la nostalgie, le goût pour la solitude (les personnages apparaissent souvent seuls sur scène), ainsi que le pittoresque (un lac d’Écosse n’est pas spécialement un lieu où se déroulent beaucoup d’intrigues d’opéra). Et puis l’Amour et ses hésitations. La relecture de Michieletto met l’emphase sur les regrets d’Elena. Par exemple, j’avais beaucoup plus d’empathie pour le roi amoureux et qui l’assume, plutôt que pour Malcolm qui passe son temps à se lamenter. Point intéressant : le rôle de Malcolm est écrit pour une voix de mezzo-soprane, c’est-à-dire une voix grave mais féminine. Quelques décennies après l’époque des castrats, les rôles de travesti ont commencé à prendre de l’importance dans l’opéra ; par exemple, le rôle de Cherubino dans Les Noces de Figaro de Mozart est joué par une femme. Je pense que cela ajoute au côté outsider de Malcolm ; souvent à l’opéra, le couple « principal » est très amoureux et parvient à surmonter les obstacles. Dans cette version de la Donna del Lago, Elena n’a pas l’air très convaincue en chantant le final qui se veut pourtant heureux. Elle répète quelque chose comme « ah que la vie est belle, quel bonheur ce mariage », mais la scène est tout sauf joyeuse et le mariage n’est même pas célébré. La vieille Elena nous aide à comprendre qu’elle regrette d’avoir été fidèle à sa promesse d’amour éternel à Malcolm. Peut-être aurait-elle dû se laisser tenter par l’aventure offerte par un Jacques plus attrayant qu’un Malcolm pas trop dérangeant physiquement.

Le chant et la musique sont, comme d’habitude, de très haut vol. Uberto (le ténor Russe Maxim Mironov) et Rodrigo (Serge Romanovsky) sont impressionnants, particulièrement dans leurs aigus. Malcolm (Marianna Pizzolato) est d’une superbe clarté dans le chant – on n’avait pas spécialement besoin de regarder les surtitres lors de ses apparitions. La seule Belge de la production, Julie Bailly, a plutôt bien géré son rôle d’Albina la servante.
Mais le gros point négatif reste le jeu. Seuls les deux comédiens et leur pantomime donnent vie à l’histoire, le jeu des acteurs étant beaucoup trop statique. Ce n’est pas non plus le meilleur opéra de Rossini, que je préfère dans des œuvres moins dramatiques (comme La Cenerentola). La vraie force de cette Donna réside donc dans la relecture et les décors de Michieletto et son équipe.
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La Donna del Lago
Direction musicale de Michele Mariotti
Mis en scène par Damiano Michieletto
Décoré par Paolo Fantin
Mis en costumes par Klaus Bruns
Mis en lumières par Alessandro Carletti
Vu le 5 mai 2018 à l’Opéra Royal de Wallonie
L'auteurHéloïse Copin
Diplômée en Langues Modernes, composée de chocolat, de rire, de chansons et de mots, ils ont trouvé des décibels dans mon check-up.Héloïse Copin a rédigé 48 articles sur Karoo.
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