critique &
création culturelle
L’Elisir d’amore
Une joyeuse pagaille

Depuis le début du mois, le ciel belge est gris, rempli de nuages menaçants. L’été est bel et bien fini, les pavés sont détrempés et les cartables chargés. Pourtant, dans la salle du Cirque royal de Bruxelles et pour une dizaine de jours (hélas trop vite passés), le soleil d’Italie a brillé de mille feux pour réchauffer le cœur des spectateurs venus écouter l’opéra l’Elisir d’amore de Gaetano Donizetti.

La nouvelle saison extra muros de La Monnaie débute sur une plage italienne, avec ses palmiers, son bar, son sable et ses transats. C’est là que le public fait la connaissance de Nemorino, un jeune gars du village qui drague assez maladroitement la belle et distante Adina, également courtisée par le sergent Belcore, macho dans toute sa splendeur. Et au milieu (dans tout ça), il y a Giannetta, la tenancière du bar, qui slalome entre les bouées pour tenter de contenir les émotions exacerbées des protagonistes. Puis soudain, la foule se presse sur la plage, des bimbos aux cheveux rouges surgissent avec de gigantesques canettes d’ energy drink , annonçant l’arrivée du grand, de l’unique docteur Dulcamara, triomphal sur son 4 x 4 électrique. S’ensuit une danse endiablée du chœur et des personnages principaux autour de la déesse Canette. L’atmosphère devient électrique, grisante.

Le docteur à la longue chevelure so fabulous apparaît comme un sauveur aux yeux de Nemorino. Le jeune homme casse sa tirelire et lui achète une dose de son élixir d’amour afin de séduire Adina. Dulcamara le met en garde : il faut attendre une journée pour que le sortilège s’accomplisse. Autrement dit, le temps qu’il faudra au charlatan pour filer à l’anglaise. Subitement ignorée par Nemorino, Adina accepte de se marier le jour même avec le sergent Belcore, qui doit partir à la guerre le lendemain. Nemorino s’engage dans l’armée du sergent afin de pouvoir racheter de l’élixir à Dulcamara, pour accélérer le processus.

Alors que la fête bat son plein, Giannetta apprend de source sûre que Nemorino vient d’hériter de son oncle, et devient du coup immensément riche. Le garçon solitaire se retrouve alors couvert de jeunes filles énamourées – grâce à l’élixir, pense-t-il. Dulcamara, Nemorino et toutes les jeunes femmes de la plage commencent à danser dans un gâteau gonflable géant, rempli de mousse qui plus est, et une euphorie générale s’empare de la salle. Pendant la nuit, Adina, encore officiellement célibataire, avoue son amour pour Nemorino. Elle a racheté son contrat, il ne doit plus partir. Leur ultime duo est rejoint par Belcore puis Dulcamara et Giannatta, suivis du chœur de touristes, et les deux amoureux s’enlacent sur le sable.

Cet opéra-bouffe (à caractère léger, donc) en deux actes a été écrit et composé en quinze jours seulement, en 1832, pour le Teatro della Canobbiana de Milan. Malgré un casting qu’il juge peu fameux, Donizetti tient le pari du délai très court et l’opéra devient un succès triomphal. Le livret, écrit par Felice Romani (l’un des plus grands librettistes italiens), est tiré de celui du Philtre , du compositeur français Daniel Auber. C’est ce qu’on appelle un melodramma giocoso , un opéra avec une intrigue sentimentale ou pathétique qui se finit dans la joie1 , une romance belcanto, comme le présente La Monnaie sur son site. Le belcanto, pour Olga Peretyakto (Adina, en alternance avec Anne-Catherine Gillet), c’est « la forme de musique la plus appropriée pour la voix et les cordes vocales d’un chanteur lyrique. Le belcanto montre non seulement la virtuosité d’un artiste, mais lui donne aussi toute liberté dans l’expression : il produit une harmonie et des sons mélodieux qui sont transmis à l’auditeur et contribuent à son bien-être, comme une « étreinte » musicale ». Et Thomas Rösner, chef d’orchestre, de compléter : « Le belcanto a toujours été étroitement lié à la personnalité du chanteur. Il concède à l’interprète plus de libertés que tout autre style, si bien que tout grand chanteur de belcanto peut marquer un air de son empreinte2 . »

La mise en scène, innovante et moderne, est l’œuvre de Damiano Michieletto (il a aussi réalisé Guillaume Tell pour le Royal Opera de Londres, notamment), qui a eu la merveilleuse idée de remplacer le village et la ferme d’Adina par une plage, s’inspirant de la télévision italienne, comme le dit Peter de Caluwe, directeur de La Monnaie : « Cela ressemble un peu à un reality show . […] les situations mises en scène peuvent être facilement reconnues par les jeunes. » Effectivement, on s’y croirait : les filles se pavanent sur le sable pendant que les garçons, tous plus bronzés les uns que les autres, jouent au foot et s’arrosent sensuellement le corps d’eau, incarnations parfaites des clichés de téléréalité. Interviewé par le MM Magazine , Michieletto s’exprime sur la raison du grand succès de sa création scénique : « […] J’essaie toujours de raconter les histoires du passé d’une façon qui puisse encore nous parler aujourd’hui. J’essaie de trouver un langage entièrement basé sur le livret de l’œuvre, mais qui veut aussi établir un lien avec notre vie, notre société, notre façon de penser, nos sensibilités et tout ce qui peut se différencier du passé5 . »

Le décor s’avance jusque dans les gradins, dont la plupart des sièges sont recouverts de ce tissu bleu et blanc qu’on voit sur les transats. Les lumières transforment habilement la plage en mer et la nuit en jour. L’orchestre, derrière le rond central de la scène, est habillé décontracté et s’insère parfaitement dans le paysage, entre les palmiers.

C’est un opéra au rythme soutenu, vivant, comme celui d’un fou-rire : on s’esclaffe, on se calme, on sourit, et puis ça repart de plus belle. Avec une pause, un arrêt sur image quand Nemorino chante l’air le plus connu de cette œuvre, Una furtiva lagrima , larme furtive qu’il voit couler sur le visage de sa belle quand il annonce qu’il doit partir à la guerre, tristesse qui signifie qu’elle l’aime, quand même. La scène finale est euphorique. Le jeu d’acteur est bon, un peu ridicule aussi, puisqu’il se veut drôle avant tout. Du comique de gestes, de caractère et de situation, renforcé par la musique qui joue elle aussi avec les acteurs, puis par le chœur et ses exclamations. Points négatifs purement techniques : la salle et son acoustique. Le Cirque royal n’est pas une salle d’opéra, n’en possède pas l’âme et reste assez froide, finalement. La scène circulaire ne permet pas d’entendre correctement chaque phrase selon que l’acteur se tourne d’un côté ou d’un autre.

Cette production est jeune, captivante, surprenante avec sa mousse, ses bulles, ses strip-teaseurs et son chien. C’est la dose de vitamine D qui fait du bien, parfaite pour partir à la découverte du genre lyrique !

Plus d’infos et vidéos
beowulf.demunt.be/intranet/webmaster/website/elisirdamore/intro_elisir_FR.mp3
deredactie.be/cm/vrtnieuws/videozone/nieuws/cultuurenmedia/1.2435162 (en néerlandais)

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