critique &
création culturelle
On the road… A
L’identité : une question d’adaptation

Entre origine, nationalité, religion ou encore sexualité, Roda Fawaz explore le thème de l’identité et de la construction personnelle autour de clichés qui ont entourés sa vie.

Mohamed est né au Maroc, de parents d’origine libanaise. Béni par le nom du prophète, il passe son enfance en Guinée, entouré de cousins, d’oncles et de tantes qui l’adulent. Mais très vite, il déménage en Belgique avec sa mère. Mohamed devient alors Mimmo, pour mieux s’intégrer dans son nouveau mode de vie. Adolescent, Mimmo passe par sa période pseudo-italienne pour mieux infiltrer les soirées bruxelloises, avant de rejoindre les planches parisiennes sous le nom de Roda. Perçu tour à tour comme l’Africain en Belgique, puis comme le blanc en Guinée, on s’amuse de son accent belge à Paris, avant de lui reprocher ses manières parisiennes à Bruxelles…

Outre les réflexions autour de la nationalité et de l’origine, la pièce autobiographique, On the road… A 1 met avant tout en scène la notion de capacité d’adaptation. Pour cela, le comédien aborde différents grands thèmes sociétaux qui ont contribué à façonner sa personnalité. On y parle par exemple du concept de la famille monoparentale, avec son père, figure quasi absente qui vient rythmer le spectacle par ses phrases énigmatiques commentant les décisions clés de la vie de son fils. Les interventions de ce personnage servent surtout à illustrer comment la recherche d’approbation de celui-ci et son absence ont influencé la vie et les choix de Roda.

L’appartenance religieuse y a aussi toute sa place. Musulman de par ses parents, Mimmo suit une éducation religieuse stricte étant enfant, malgré l’attraction des cours de morale, et une brève incursion en cours de religion chrétienne. Mais au fil du temps, Roda ne se retrouve plus dans l’Islam, et rejette petit à petit certains préceptes, en commençant à boire de l’alcool puis en priant de moins en moins, au grand dam de sa mère.

D’autres sujets s’y retrouvent encore, comme par exemple la question de la sexualité, à travers le personnage de son ami homonyme Mohamed, qui devient Dorothée. Avec ces interrogations universelles, la pièce prend un caractère intemporel. Chacun peut y retrouver sa place, s’identifier et faire des références à sa propre vie ou à ses propres doutes. Ces questions centrales et ces clichés, Roda les détourne pourtant habilement, en les traitant avec légèreté et humour, au fur et à mesure qu’ils apparaissent dans sa vie.

Seul sur scène et sans aucun accessoire, Roda incarne tour à tour différentes personnalités. Il reprend ainsi les codes du one-man-show et se sert d’une mise en scène millimétrée et d’une gestuelle caricaturée au service de ses dédoublements de personnalité. Ses personnages, riches et contrastés, sont une des forces de la narration.

On retiendra l’exemple de sa mère, toujours représentée par sa menaçante cuillère en bois, ou encore Slinky, l’ami imaginaire de Roda, reconnaissable entre mille avec son cheveu sur la langue. De présence rassurante et réconfortante dans son enfance, Slinky se transforme en la conscience-même de Roda, qui lui soumet questions existentielles et remises en question. Le père, avec ses apparitions en bordure de scène, éclairé d’une lumière providentielle, incarne presque un personnage biblique. Avec ses discours philosophiques, sa fonction de « guide spirituel » saute naturellement aux yeux du spectateur.

« L’identité n’est pas donnée une fois pour toutes, elle se construit et se transforme tout au long de l’existence » – Amin Maalouf 2

Si durant tout le spectacle Roda Fawaz essaye de définir son identité, aucune réponse précise n’est toutefois apportée à la fin de ce récit initiatique. En toile de fond de la pièce se trouve une référence constante à l’œuvre d’Amin Maalouf, les Identités meurtrières , avec une idée de construction perpétuelle. Roda conclut d’ailleurs sa pièce de manière ouverte, sans répondre aux questions du public sur « sa vie après la pièce » . Le message que l’acteur nous transmet est avant tout celui de l’acceptation de soi et de l’adaptation. Cette capacité s’apparente presque selon lui à une forme de conditionnement : il explore sa façon d’être parfois déterminé par les autres plutôt que d’imposer sa manière d’être. Dans une discussion à la fin du spectacle, il explique d’ailleurs : « Je partirai peut-être demain en Espagne, pour parler couramment l’espagnol. Quelle identité est-ce qu’on me donnera à ce moment-là ? »

Même rédacteur·ice :

On the road… A
Une pièce de et avec Roda Fawaz
Mise en scène de Eric De Staercke
Une coproduction du Théâtre de Poche et du Théâtre Loyal du Trac
Avec le soutien des Riches Claires
En partenariat avec la Ligue des Droits de l’Homme
85 minutes

Vu à l’Eden le 22 février 2018