Ce 12 mai dernier, Héloïse Copin a vu à la Monnaie
Ce 12 mai dernier, Héloïse Copin a vu à la Monnaie
Mitridate, re di Ponto, opéra de jeunesse de Mozart. Malgré une mise en scène complexe, elle est revenue impressionnée par la qualité et la puissance vocale des chanteurs.
Mitridate, re di Ponto, c’est l’histoire d’un roi qui essaie de résister (encore et toujours) à l’envahisseur romain. Pour savoir si ses fils le soutiennent dans sa lutte, il fait courir le bruit de son décès inopiné. Cependant, ce plan astucieux s’écroule comme un château de cartes quand l’amour vient se mêler à une situation politique déjà bien compliquée.
Et je pense qu’il y a une bonne raison à cela : ce n’est pas un opéra très moderne, comme peut l’être la Flûte Enchantée , qui fait l’objet de nombreuses mises en scène encore aujourd’hui. J’ai moi-même pu en voir trois différentes, en trois lieux différents, sur une dizaine d’années. Mitridate n’est pas moderne, en grande partie parce que les airs sont très répétitifs : souvent, un air commence par quelques mesures de clavecin, probablement pour aider les chanteurs à partir sur de bonnes bas(s)es. Ensuite, les chanteurs (dont deux castrats, assez impressionnants dans leur rôle – bien qu’ici l’un d’eux soit la soprane Mirtò Papatanasiu) s’envolent dans des arias absolument délicieux. Et si souvent ils sont plusieurs sur scène, le spectateur est confronté à des solos et à un seul duo, dans des harmonies splendides à vous faire vibrer les tympans 1 , écrits sur mesure pour les chanteurs originaux. Et puis revient le clavecin. Et puis l’envolée. Et puis les harmonies.
Les tragédies sont déjà des œuvres assez lourdes en soi. On y affronte des conflits de valeurs, on y parle avec des mots compliqués, on y meurt plus qu’on n’y vit, on sent son âme vibrer, tiraillée entre deux partis. Mitridate fait du bien aux oreilles, pendant un certain temps. Les trois actes sont longs, et l’opéra entier dure 3 h 40 avec deux entractes. C’est long. Surtout si l’on n’a pas l’habitude de l’opéra, et qu’on s’attendait à quelque chose de plus accessible, reconnaissable ou, du moins, accrocheur.
La mise en scène, quant à elle, se veut un peu plus moderne, tel le « morceau de sucre qui aide la médecine à couler ». Le théâtre de La Monnaie, situé place de la Monnaie à Bruxelles, étant encore en travaux, l’opéra a lancé un concours pour la scénographie au chapiteau de la Monnaie, situé quant à lui sur le site de Tour & Taxis. Il a reçu une bonne centaine de projets de mise en scène, avant de sélectionner celui de Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil. Ces derniers ont choisi de placer l’œuvre de Mozart dans un contexte européen : le spectateur se retrouve face à une réunion de crise à Bruxelles, durant laquelle divers chefs d’État essaient de dénouer la situation tendue entre les deux frères rivaux, Sifare et Farnace, fils de Mitridate. Dans leur note d’intention, Clarac et Deleuil repensent le spectateur européen contemporain. Qu’est-ce qu’être Européen, aujourd’hui ?
Dans leur Mitridate , « la mise en jeu du spectateur-citoyen » est centrale.
ce qui est central dans toute tragédie classique. Le point fort de leur mise en scène est indubitablement l’utilisation totale du « bâtiment », afin de plonger le spectateur directement dans l’intrigue, d’activer sa réflexion depuis ses premiers pas sur le parking jusqu’à ce qu’il se couche dans son lit, une fois rentré. Tout ceci est, selon moi, un gros problème : ne sachant pas trop à quoi m’attendre, j’étais confuse face à ce Mitridate . Il m’a fallu faire beaucoup de recherches, notamment dans les ressources en ligne de La Monnaie, pour saisir le sens de cette mise en scène.
Les décors de la scène sont simples mais efficaces. Une grande table, des drapeaux, des fauteuils club. La salle du chapiteau est également parée de grands drapeaux, représentant les divers pays de l’Union romaine (comprenez : européenne), incluant, bien sûr, celui de l’État du Pont. Il y a également des écrans de télévision, qui diffusent des breaking news comme les médias de masse anglo-saxons savent bien le faire. Les décors s’étirent jusque dans le hall d’entrée du chapiteau. Au pied de l’escalier ont été déposées des gerbes de fleurs, des bougies ainsi qu’une photo de Mitridate, récemment décédé – enfin, c’est ce que croit l’Union. Ce chapiteau est d’ailleurs une bonne idée. Passez le sas et vous entrerez dans un autre monde, celui du possible et de l’imaginaire, du réel mêlé à l’irréel, comme une bulle hors du temps. Devant, un panneau lumineux rappelle aux visiteurs que « tous les palais sont éphémères ». On se croirait presque dans l’Ouest américain, à l’entrée d’un motel perdu sur la Route 66, en mieux. Ce chapiteau est une véritable invitation au voyage, avec des couloirs sombres éclairés par la lumière diffuse des diverses illustrations aux murs.
Les capacités vocales incroyables des chanteurs prennent le pas sur un jeu assez pauvre et statique, malgré les apparitions des journalistes filmant les chefs d’État en plein débat. Mitridate est interprété par Michael Spyres ; Aspasia par Lenneke Ruiten ; Sifare par Mirtò Papatanasiu ; Farnace par David Hansen (étonnant alto) ; Ismene par Simona Šaturová ; Marzio par Sergey Romanovsky et Arbate par Yves Saelens. Le rôle de l’orchestre reste par contre assez minime, souvent effacé par la puissance déployée par les chanteurs.
Si vous êtes novice, Mitridate n’est pas un opéra qui vous fera aimer le genre. C’est une œuvre intéressante qui permet, par la comparaison avec d’autres opéras de la même époque ou plus tardifs, de mettre en lumière ce qui peut vous plaire ou vous déplaire dans ces productions. Ce peut être la mise en scène, ici inventive, totale mais pas assez investie dans son rôle de guide pour les acteurs ; l’accompagnement de l’orchestre ou encore les arias qui vous filent la chair de poule. À vous de voir, de découvrir, de vous plonger dans ces palais éphémères.