Entretien avec Kenny Ozi…
Assis à une table du Verschueren à Bruxelles, entre nous une discussion aux allures diverses, artistique, philosophique, pratique ; j’ai rencontré Paul Poule, ou Kenny Ozier-Lafontaine, ou les deux, un mercredi 27 juin en fin de journée.
Qui es-tu, Paul Poule ?
Kenny Ozier-Lafontaine : Paul Poule déjà c’est un pseudo, à l’origine on écrivait à deux avec un pote qui fait du rap, et on voulait trouver un pseudo pour ça, on cherchait un truc pas sérieux et drôle pour faire de la poésie qui est quelque chose de très sérieux et grave. Là je dois porter ce nom tout seul…
Est-ce qu’il y a une distinction, d’un point de vue artistique, entre Kenny Ozier-Lafontaine et Paul Poule ?
Je n’ai jamais rien signé sous le nom de Paul Poule, c’est juste pour Facebook… Donc je signe avec mon nom à moi.
Il y a juste une fois quand j’ai entamé une collaboration sur Facebook avec un dessinateur qui s’appelle Vincent Lefèbvre ; il signait « Paul Poule » des strips de trois cases avec des textes à moi. Ça a été édité par la suite, et ils ont gardé cette signature en-dessous de chaque strip… mais c’est signé Kenny au début du livre… C’est un peu schizo.
Ça a été édité chez Maëlström, c’est bien ça ?
Oui, celui-là c’est le troisième, Bulles, sorti il y a un an. Le premier, Fils de la nuit, était il y a six-sept ans, le deuxième, Billes, il y a quatre ans.
Est-ce que tu envisages une carrière dans la poésie ?
Non… Continuer à faire de la poésie oui, de faire une carrière, non…
Pourquoi ? Qu’est-ce que ça signifie pour toi le mot « carrière » ?
C’est vachement connoté… ça implique de devoir faire des compromis, de devoir correspondre à des choses, d’entrer dans une démarche pour obtenir des résultats, c’est pas vraiment l’idée.
Tu fais ça plus pour te marrer alors ?
Depuis que j’ai commencé à écrire il y a huit, non neuf-dix ans je ne sais plus, j’écris tous les jours, sauf hier parce qu’on m’a volé mon ordinateur avec tout mon travail… Heureusement j’envoie régulièrement mes trucs à des amis pour qu’ils les relisent, donc j’ai des copies d’à peu près tous mes trucs.
Ça n’est pas vital, mais c’est une véritable discipline de faire ça, ça fait partie de ma vie, j’aime faire ça.
Donc tu ne pourrais pas imaginer une journée sans écrire ni produire quelque chose ?
Non… Enfin je pourrais l’imaginer mais je ne l’ai pas fait depuis dix ans en tout les cas !
Tu travailles avec beaucoup de monde. Avec qui as-tu eu l’occasion de bosser et avec qui bosses-tu pour le moment ?
Demain je suis à Paris, je fais une résidence dans un squat à Aubervilliers avec un ami qui est dessinateur, et on a un projet d’adaptation d’une de mes nouvelles, soit sous la forme d’une performance, soit un bouquin où ce sera juste des illustrations. (Il réfléchit) J’ai aussi un projet de BD avec un dessinateur qui est à Marseilles, j’écris des histoires que lui adapte en BD.
Sinon j’ai des lectures prévues avec une plasticienne qui habite Paris et qui s’appelle Catherine Ursin, on fait des performances à deux où elle me peint sur le corps ou l’inverse ; il y a un bouquin qui est sorti au Dernier Cri avec une dessinatrice de Lyon…
C’est une chouette maison ça, le Dernier Cri…
Oui ! Je suis hyper fier parce que je suis fan depuis un bon bout de temps. C’est elle qui m’a proposé, parce qu’en fait, il y a deux ou trois ans, j’écrivais des textes un peu sombres, qui parlent souvent de la mort en tout cas, sans trop de gravité ni de sérieux j’espère… Une Canadienne qui était très malade et qui a choisi de se faire euthanasier, a vu mes textes et m’avait un peu invectivé sur Facebook. J’aime bien sur Facebook que les gens en fassent un peu plus que juste mettre un pouce bleu ou dire qu’ils aiment bien… Donc on s’est mis à échanger en messages privés et du coup elle m’a demandé d’écrire jusqu’à son dernier jour, un texte toutes les semaines qu’elle aurait illustré. Et cette dame faisait partie de tout un réseau de dessinateurs « art en marge » ou « art brut », ce qui m’a permis d’entrer en contact avec Evelyne Postic qui m’a demandé d’écrire pour elle et ce bouquin au Dernier Cri.
Comment tu fonctionnes en général, tu cherches à travailler avec certaines personnes ou ça se fait par hasard ?
Je travaille avec les gens que j’aime bien. Il y a deux mois j’étais à Toulouse pour faire un documentaire avec un ami cinéaste, Simon Gillard, et j’avais rencontré un poète, Serge Pey, que j’adore pour plein de raisons, dont son écrirutre proche de celle d’Artaud , de Ferré ou de Castaneda. Au fil de nos discussions, on a convenu que je viendrais faire un documentaire sur lui.
Je suis très content de bosser avec des gens, parfois c’est un peu chiant d’être dans son coin tout seul… ça donne de l’ampleur aux choses, quand des médiums différents se rencontrent.
Est-ce que tu ne fais que ça dans la vie ?
J’ai bossé pendant deux ans dans un collège en France en tant qu’assistant de vie scolaire, là je suis au chômage (il finit ce mois-ci d’ailleurs…). Mais je fais une formation en art thérapie et suis en stage au club Antonin Artaud.
Pourquoi l’art thérapie ?
Faire juste de l’art ça rapporte pas d’argent, et j’ai toujours été fasciné ou intrigué par le milieu psychiatrique, par le soin aussi, et le contact. Tous les lieux en marge de la société, comme le collège dans lequel j’ai travaillé, me rendent curieux. Peut-être parce que ça fait écho à quelque chose en moi-même. Donc c’est un moyen de mélanger deux passions que j’ai, la folie et l’art…
La folie est donc une passion pour toi… ?
Il y a des choses qui pour moi sont en lien avec une sorte d’ailleurs, une sorte d’impossible… Il existe une sorte de cadre qui est régi par des lois, des conventions… et qu’il y a des impossibilités à aller plus loin, et elles sont d’ordre très variées, par exemple la mort c’est un impossible, l’enfance aussi (on ne peut pas retourner en enfance), la folie… Ces choses sont irréversibles et nous n’avons pas de pouvoir dessus. Exiger que tout soit possible c’est un peu comme vouloir devenir un dieu. Dans la folie il y a ça, un franchissement d’un impossible de la pensée. Je n’ai pas bien expliqué, mais bon…
Mais l’écriture qui est pour toi une discipline quotidienne, comme un mantra que tu te répètes tous les jours, est-ce que cette pratique serait une manière d’essayer d’atteindre un impossible ?
A l’origine, et je ne suis toujours pas sûr d’être convaincu par ça, mais je continue de faire comme si, je vois l’écriture comme un moyen d’exploration. Je suis né en Martinique, donc imprégné de la culture coloniale, et l’écriture pour moi c’était comme un bateau, quand tu écris tu te déplaces dans un monde, tu testes ses limites, celle de la pensée aussi. J’ai été très influencé par les surréalistes ou par les beatniks, ou pour le moment je lis du Lacan qui parle du rapport entre le symbolique et le réel, comment, quand tu as quelque chose d’immense, réduire cet immense à quelque chose de symbolique pour que ça soit vivable. Ce qui m’intéresse c’est la fracture, la rupture que permet l’écriture pour réintégrer une totalité, pour créer une brèche pour accéder à quelque chose de plus vaste.
Je note mes rêves depuis le début, je pratique les rêves lucides, tout ça ce sont des moyens soit de faire des renversements dans l’état de choses, soit un moyen de s’approprier le monde le plus vaste et le plus inconnu possible, ce qui est sa première utilité.
Est-ce que tu as cherché une explication à ce besoin d’écriture ou est-ce ça a été comme une évidence ?
ça a commencé à une époque où je fumais énormément d’herbe et j’ai commencé à devenir bien dingue, à avoir des hallucinations, des temps de latence importants… Comme Artaud le disait, d’être en retard sur la réalité… J’ai aussi découvert Arrabal et Michaux à ce moment-là.
J’ai toujours été dans un excès, je veux toujours trop faire. Que ce soit bien ou mal, je le fais, je m’en fous (rires) !
Est-ce qu’il n’est pas bon de temps en temps de garder de l’énergie pour enrichir un projet en particulier ?
Bah pour moi c’est vraiment une discipline… L’écriture est un entrainement perpétuel.
Et quand tu proposes un recueil à un éditeur, tu gardes les textes bruts ?
Non, le premier c’était deux à trois ans d’écriture et un à deux ans de travail avec un ami. C’était un travail d’assemblage, de tri, puisque j’avais accumulé énormément de matière. Il faut trouver une cohérence, une unité à l’ensemble, donc j’ai parfois coupé, assemblé des choses.
Quand je t’entends j’ai l’impression que tu es dans une performance permanente…
Le mot performance est quand même vachement connoté aujourd’hui… Je crois que c’est plutôt une recherche d’intensité… On est traversé par des choses, ça c’est ma pensée, mes émotions, mes douleurs, des angoisses ; et par leur intensité. Beckett disait qu’on a un besoin d’exister. On parle, on a besoin de faire l’amour, de se battre… Avec tout ça nous avons l’impression de se sentir vivre. On a finalement besoin de verticalité, de rage verticale, comme chez Nietzsche, Aimé Césaire, Herzog, Booba, Serge Pey, Artaud… Ils expriment leurs intensités, et ça me plaît.
Tu as fait un film, TAR , sur Fernando Arrabal, pourquoi ?
Arrabal c’est le premier recueil de poésie que j’ai lu. J’étais déjà fan de Jodorowsky et de Topor à l’époque, du coup c’était le troisième du mouvement Panique que je découvrais . Et puis j’ai tout épluché, sa vie, ses interviews… J’ai fait des études de cinéma, et un jour à la Cinematek, un des projectionnistes me dit qu’Arrabal va venir à Bruxelles. J’ai fait ma groupie le jour de sa venue, je lui ai déballé tout ce que je savais… Un pote m’a alors motivé à lui envoyer un texte. Je l’ai fait, il l’a reçu, il m’a répondu et m’a invité à aller lire des poèmes chez lui. J’y suis allé, et c’est devenu une habitude, tous les mois pendant six-sept ans j’allais chez lui. Le documentaire vient de cette relation.
C’est devenu un copain ?
Non… J’adore vraiment l’entièreté de son travail, mais je n’aimais pas son entourage, je ne me sentais pas d’appartenir à sa petite cour… Il entretient des relations étranges avec ses fans.
TOUT AUTRE CHOSE
Quel serait ton livre de chevet ?
Sans hésiter l e Voyage à Ixtlan , de Carlos Castaneda. C’était déjà le livre de chevet de mon père. J’ai reçu en fait une éducation un peu castanedienne… “Je ne veux pas que tu sois premier à l’école, je veux juste que tu sois impeccable”. Toutes ses méthodes, les rêves lucides, etc… ça m’a énormément inspiré. Et ce livre est un bouquin pratique, de la philo pratique, il donne des moyens, des choses à faire, dans un cadre drôle et léger, à l’encontre de la littérature occidentale ampoulée.
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Et ton film préféré ?
Signe de vie de Werner Herzog. C’est son premier et tout est déjà dedans, son rapport à la verticalité. Il est hyper puissant ! Il y a une idée de sortir de l’homme, l’homme n’est pas une finalité, il est un pont vers quelque chose d’autre que lui-même.