Chant Balnéaire d’Oliver Rohe
Il y a quelque chose de pourri au royaume du Liban
Chant Balnéaire est le nouveau récit en vers libres de l’écrivain français Oliver Rohe. Un texte aux accents autobiographiques qui raconte la vie d’un adolescent relégué dans une station balnéaire pour échapper à la guerre civile qui détruit Beyrouth. Récit brut d’une existence hachée par la guerre du Liban.
Chant Balnéaire de l’écrivain français Oliver Rohe est un court récit en vers libres publié chez Allia en janvier de cette année. Le narrateur, double littéraire adolescent de l’écrivain, fait le récit impressionniste de sa vie au moment de la guerre du Liban (1975-1990), guerre civile complexe qui opposa les communautés religieuses du pays. Oliver Rohe, né de mère libanaise et de père allemand, signe ici un récit qui se rapproche de l’autobiographie.
J’arrive à la station balnéaire.
C’est l’automne.
Le vent arrive de la mer.
Personne dans les allées.
Les piscines sont vides.
Les terrains crevés d’herbes folles.
Les blocs de bungalow sur le chemin sont vacants, désertés du spectre de leurs anciens occupants, revenus de leur béton d’origine.
Les structures de loisirs sont vaines.
La station balnéaire est plus morte à l’automne que Beyrouth Ouest un jour de combats.
Pour la forme : un court récit aux accents poétiques, en vers libre, à la frontière entre un roman elliptique et un poème épique, comme d’autres ouvrages de ces dernières années ‒ on pense par exemple à Mahmoud ou La montée des eaux du Belge Antoine Wauters, ou À la ligne du Français Joseph Ponthus. Ce choix du vers libre apporte quelque chose de solennel, ou peut-être une certaine distance, qui donne dans Chant balnéaire l’idée que le narrateur est un peu détaché de sa vie – il l’est littéralement, puisqu’il a été arraché à sa maison dans Beyrouth à cause de la guerre.
Pour le fond : le narrateur a treize ans lorsque commence le récit, qui s’étale sur quatre ans. Sur les quelque 150 pages que fait le livre nous parviennent des bribes du quotidien de cet adolescent qui a dû fuir Beyrouth Ouest avec sa mère et sa sœur pour atterrir dans une station balnéaire gardée. La famille emménage dans un studio à l’intérieur d’un des blocs de béton qui composent la station. Dans celle-ci, d'autres enfants de ressortissants européens ont également été relogés, et font leur expérience de l’adolescence ensemble.
Le lecteur n’a idée du temps qui passe que par la mention de l’âge du garçon, de son année scolaire, ou grâce aux saisons. Pas d’années qui viendraient renseigner sur l’avancement du conflit, situer un temps historique. Comme le garçon qui raconte l’histoire, le lecteur n’a pas beaucoup de repères auxquels se raccrocher. La présence de phalangistes (militaires) gardant la station, et de bombardements attestent pourtant la présence du conflit.
Le narrateur rappelle parfois Meursault par son aspect désincarné ; les liens familiaux sont somme toute très anecdotiques pour Oliver, que la guerre n’a pas rapproché de sa famille. Au contraire, le seul lien qui semble le retenir à sa mère – sans parler de sa sœur qui est presque un fantôme dans le récit – est une dette, liée à son éducation payée grâce à la vente d’objets de valeurs vendus pour presque rien. Mais l’éducation représente peu de choses pour le jeune homme :
Se représenter la perte d’une année scolaire demande un sens de la durée et une capacité de projection dans l’avenir dont je suis complètement dépourvu.
Je n’ai pas l’intelligence du temps.
La guerre m’a libéré des horloges.
C’est à une liquidation qu’appelle la station balnéaire et il est trop tôt pour passer à l’acte.
La liquidation de soi.
Dans l’attente que l’acte ne vienne jamais, je parle à la bonde.
Très vite mis devant ses « responsabilités d’homme de la maison » par sa mère alors qu’il sort à peine de l’enfance ( Je ne dors pas quand elles dorment / Je suis l’homme de cette maison. / C’est ma mère qui l’a dit. / Tu as treize ans ), le jeune homme fait l'expérience de sa masculinité, de sa sexualité. Même si le titre du livre indique un environnement idyllique, des amours d’été, des vacances, il reste de Chant Balnéaire une impression brute, voire sale. Les blocs de béton évoquent quelque chose de dur, et la sexualité du jeune homme est également décrite de manière crue. Quelque chose de presque nauséabond se dégage du récit, comme les odeurs qui sortent des bondes dans les appartements de la station balnéaire. Au moment même où Oliver commence à s'approprier son nouveau lieu de vie, l’Allemagne — pays dont Oliver est ressortissant – leur donne l’ordre de quitter impérativement le Liban.