Coup d’œil sur la dixième édition de Je, d’un accident ou d’amour , la nouvelle poétique de Loïc Demey, prof de sport conquis par la désobéissance aux règles grammaticales et la poésie qu’elle apporte à la prose en bouleversant notre rapport au verbe et à l’action.
Une fois n’est pas coutume, je voudrais commencer cet article par une information personnelle : mon grand dada à moi, c’est la grammaire. Il m’arrive très souvent d’analyser la façon dont mes amis construisent leurs phrases ou de faire des commentaires sur les tics de langage des journalistes à la télé. Alors naturellement, quand je suis tombée sur le partage d’un extrait de Je, d’un accident ou d’amour de Loïc Demey sur un groupe Facebook, ma curiosité a été piquée. C’était la photo d’une page. 17 lignes décrivant la routine remplie d’ennui d’un couple en fin de parcours : Hadrien et Delphine ne se parlent plus, se regardent et se touchent à peine. Les deux trentenaires restent ensemble par facilité et par peur de la solitude. Si le fond est classique, la forme est avant-gardiste : les noms, les adjectifs et les adverbes ont éjecté les verbes, laissant le champ libre à la subjectivité.
« Notre couple s’usure. Jusqu’à la corde. On se rituels : je me samedi chez ses parents, elle se dimanche chez les miens. On se calme plat. Je me morne, elle se plaine. »
Loïc Demey suit les traces du poète roumain Ghérasim Luca, né au début du XXème siècle. Ayant baigné dans la philosophie et les littératures allemandes et françaises, son œuvre s’apparente sur bien des aspects au mouvement surréaliste. Luca jouait avec le langage, rompait les codes et aspirait à une certaine oralité afin de donner un mouvement et une sensualité à la langue écrite. Son poème Prendre corps , mis en musique par Arthur H en 2006, consiste en un enchaînement de très courtes phrases qui décrivent une étreinte amoureuse. Le rythme soutenu, presque effréné donné par Arthur H affirme l’inutilité des verbes dans un poème où les sens physiques prévalent sur les sens sémantiques. Loïc Demey pousse l’exercice plus loin en tournant la poésie en prose, pour raconter le chamboulement vécu par Hadrien lors de son aventure avec Adèle. Une projection soudaine hors de son quotidien devenu fade. Le lecteur, aussi, est bousculé. Il devient actif puisqu’il doit remplir les trous laissés par ces remaniements grammaticaux, puis est poussé vers l’oralité de la poésie pour découvrir tous les jeux de mots et expressions détournées par l’auteur. Tout comme Luca, Demey dépeint l’amour d’une manière à la fois précise et ingénieuse, sans aucune vulgarité.
« La rue se nuit, le ciel se lune. Je la nue. La pièce se sombre, je m’orage. La fermeture éclair. La robe, tonnerre. Sa tunique en l’air et ses dessous à terre. La rue se lune, le ciel se nuit. Je la nue. »
Je, d’un accident ou d’amour est une création littéraire qui a fait chavirer mes convictions grammaticales : il ne s’agit plus de détruire les codes comme le faisaient les surréalistes, mais bien de les éclater pour être au plus proche des émotions du protagoniste. Le résultat est une histoire originale et percutante, à lire au plus vite.