Le Domino noir de l’Opéra royal de Wallonie a été une des (co)productions phares de cette saison. Pour sa première fois sur le devant de la scène, la choriste Tatiana Mamonov incarne la sœur tourière, élément-clé des retrouvailles. Découverte des coulisses de la création.
Tatiana Mamonov en est à sa cinquième saison en tant que choriste pour l’ORW, et elle se retrouve pour la première fois dans un rôle sur scène. Avec sa voix de mezzo (une voix moyenne, pouvant à la fois monter assez haut et descendre assez bas), elle interprète généralement des rôles secondaires, comme une sorcière ou une méchante belle-mère, mais certains premiers rôles comme celui de Carmen ou de Dalila dans Samson et Dalila sont des rôles de mezzo-soprane. Comme le précise Tatiana, les sopranes se retrouvent souvent dans des personnages légers, des filles amoureuses et passionnées, ce qui ne correspond pas vraiment à sa psychologie.
« Il faut se réconcilier avec sa voix dès le début. »
Tatiana joue ici le rôle de la Tourière, non pas la nonne qui vit dans une tour, mais bien celle qui reçoit les cadeaux et les lettres venus de l’extérieur grâce à un tour. Cela évite les contacts avec le monde. Selon elle, le fait que le Domino noir ne soit pas une œuvre connue du grand public permet d’éviter la pression de spectateurs connaisseurs qui pourraient trop comparer les versions entre elles. Cela a permis aux metteurs en scène d’adopter des partis pris tout en évitant les polémiques.
Le chef d’orchestre a même procédé à quelques coupures dans la partition et le texte afin de moderniser une histoire qui pourrait être passée de mode, tout en restant proches de l’œuvre originale. Quant à Hecq et Lesort, leur but principal était de créer un (premier) opéra très visuel et plein d’humour : chaque personnage était très typé, comme la Tourière, « la folle-dingue, une vieille fille vivant dans sa caverne, antipathique, ronchon, une vraie planquée dont personne n’aurait jamais voulu ». Tous les personnages secondaires sont des créations. Ce genre de rôle un peu vide au départ est très intéressant car les metteurs en scène peuvent leur donner n’importe quelle facette : Gil Pérez et sa dégaine loufoque ont été créés de toute pièce sur la base de la simple indication « concierge du couvent », et Jacinthe, obèse, devient presque un personnage burlesque. Le contraste entre chaque personnage permet d’éviter l’ennui que la musique – parfois un peu simple – aurait pu provoquer. On évite ainsi la lassitude du personnage défini dès le départ et au destin scellé par sa personnalité. Il me semble par ailleurs que certains costumes et personnages ont été inspirés par ceux du septième art : Gil Pérez est le portrait craché de Riff-Raff dans le Rocky Horror Picture Show ; le paon de Juliano est le même que celui de Louis de Funès dans l’Avare .
Chaque rôle a été pensé en concertation avec tout le monde. Ce qui n’est pas toujours le cas, souligne Tatiana. Si l’envie d’Hecq et Lesort était de rester dans une représentation très visuelle de l’œuvre, ils ont dû s’adapter aux chanteurs : Tatiana devait par exemple porter une bosse et se plier un peu, sans trop gêner son chant. Hecq et Lesort ont beaucoup guidé les chanteurs : chaque mouvement, chaque geste, chaque regard étaient travaillés. Rien n’était laissé au hasard.
« Parfois les chanteurs sont critiqués sur le jeu scénique, pas toujours bon : certains metteurs en scène laissent les chanteurs agir librement, tout en donnant quelques directives, mais le public peut alors penser que la mise en scène ne va pas assez loin. Parfois, certains airs très techniques ne permettent pas au chanteur de jouer véritablement. La seule chose qui ne s’achète pas, c’est l’expérience. Le chef d’orchestre m’a vraiment bien aidée, tirée vers le haut tout en connaissant mes limites. La bienveillance des autres artistes, leur amour et conscience du travail m’ont permis d’éviter le trac. »
Aux critiques concernant le côté « opérette » de l’œuvre que j’ai pu entendre dans la salle, Tatiana répond qu’effectivement, la frontière entre les deux genres est très mince. Tout comme une opérette, le Domino noir contient du texte parlé, du chant, des danses et une ambiance légère, mais reste un opéra.
J’avais été personnellement plutôt amusée de voir le public huppé du parterre rire aux éclats devant les blagues visuelles et autres rebondissements présentés sur scène. Pour Tatiana, cette production a permis à un certain public d’apprécier différemment le monde de l’opéra. Ce monde peut être très austère et sérieux, parfois inaccessible, mais il y a un public pour tous les styles de production. En parlant de rire :
« Faire rire toute une salle au même moment est très difficile ; les faits divers atroces souvent présentés à l’opéra émeuvent invariablement, mais faire rire est plus compliqué car on ne rit pas tous des mêmes choses au même moment. Les enfants rigolaient lors de passages où les adultes ne riaient pas. Il y avait bien entendu les grandes lignes comme la première fois où le porc-épic dresse ses picots qui provoquaient toujours l’amusement du public. »
Tatiana précise que c’est le grand sens de l’humour ainsi que l’amour de la musique de tous les artistes qui ont guidé cette production, comme un moteur.
Certains choristes devaient également danser dans les deux premiers actes. Ils ont été coachés par une chorégraphe et des danseurs professionnels, répétitions que Tatiana a particulièrement appréciées. Pour elle, le plus beau moment musical est le duo final d’Angèle et d’Horace : lui, totalement désespéré, pleure sa bien-aimée, qui lui répond depuis les coulisses, accompagnée par le chœur.
Cette production du Domino noir a été un véritable succès, une fierté pour Tatiana Mamonov. Et même si cela fait partie du métier d’artiste de devoir se réadapter, c’est avec un pincement au cœur qu’elle a quitté la troupe en partance pour Paris.
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