L’ORW
de l’autre côté du rideau
Après avoir vu une bonne vingtaine d’opéras depuis la salle, et juste avant une représentation de Tosca à l’ORW, je pars à la découverte des coulisses pour un portrait croisé de deux femmes qui y jouent des rôles-clef.
Ce soir-là, au lieu de passer devant la statue du compositeur liégeois André Grétry qui campe devant l’Opéra Royal de Wallonie, j’ai continué mon chemin, longeant le bâtiment jusqu’à l’entrée des artistes, pour faire un petit tour dans les coulisses… juste avant qu’elles n’entrent en ébullition.
Je monte quelques volées d’escaliers et me voilà dans un salon de coiffure aux murs couverts de ces miroirs encadrés d’ampoules nues. Là où il n’y a pas de miroirs, il y a des centaines de photos, parfois dédicacées. Sur les tables sont alignés fonds de teint, poudres et autres ombres à paupières, à côté de produits coiffants de toutes sortes. Les coiffeurs-maquilleurs-perruquiers de l’atelier attendent que les artistes sortent de leurs loges pour venir se préparer à monter sur scène. Au milieu d’eux, Christine Pellet, responsable de l’atelier.
Coiffeuse de formation, Christine est entrée à l’ORW il y a trente-neuf ans. Elle m’explique qu’il n’y a pas vraiment d’écoles pour les coiffures d’époque que son équipe et elle doivent parfois réaliser pour certaines productions. Tout s’apprend à l’atelier, même la confection de perruques. Jusqu’à huit heures par jour, les perruquiers cousent et assemblent les perruques cheveu par cheveu. Pour Rigoletto , ils ont dû en créer cinquante-sept ; mais pour le personnage de Tosca, seuls des rajouts sont nécessaires. C’est le costumier qui décide du style des coiffures et des maquillages : l’atelier suit les indications sur les maquettes. Christine me montre des feuilles reliées couvertes de dessins et de photos, m’expliquant que ce genre de maquettes est plutôt rare et qu’ils travaillent plus souvent sur base de dessins dont la précision peut varier.
Les journées de représentation commencent à 13h pour l’atelier : tout doit être en ordre et propre, les perruques recoiffées, ce qui prend plusieurs heures. Et quand les artistes arrivent, il faut entre une heure et demie et deux heures pour les transformer en leur personnage. Parfois les maquillages sont légers et sobres, comme pour Tosca. Parfois il faut carrément coller des prothèses, comme pour Elisetta dans Il Matrimonio Segreto . Virginia Tola et Tiziana Caruso se partagent le rôle de Tosca, et si Caruso reste plus sérieuse pendant son maquillage et sa coiffure, Tola, que j’ai croisée en quittant la pièce, arrive avec ses écouteurs et danse et chante, profitant d’un moment de détente avant de monter sur scène.
Sentant l’effervescence arriver, je les laisse se mettre au travail et descends les marches des coulisses jusqu’à un petit open space prévu pour cinq personnes. J’y retrouve Flavia Mangani, régisseuse générale depuis 2009. Après avoir été danseuse dans le corps de ballet, Flavia a suivi une formation en régie son et lumières au centre IFAPME du Château Massart, à Liège. Ses stages l’ont ramenée à l’ORW, pour lequel elle a arrêté de danser.
Pour faire court, Flavia m’explique que le régisseur général est le maestro de la coulisse qui gère une partition en quatre temps, jonglant entre préparation, anticipation, répétitions, représentations et continuité du spectacle. Le régisseur doit se renseigner sur l’œuvre en préparation, en apprendre l’argument et la musique ainsi que les différents décors, costumes et accessoires utilisés. Il doit ensuite organiser les castings de figurants, d’extras, voire même d’animaux. Ensuite vient le planning des essayages et des répétitions : d’abord en studio avec un piano, puis sur scène (toujours avec piano) avec le décor, avec l’orchestre enfin. Le spectacle représente la finalité du travail du régisseur, sauf s’il s’agit d’une création. Dans ce cas, il faut monter un dossier de production où sont répertoriées toutes les informations nécessaires à la production, de la conduite régie au salut final, ainsi qu’un DVD. Entre les premiers pas dans un nouveau spectacle jusqu’à la dernière représentation, il s’écoule au moins un mois.
Cependant, Flavia n’est pas seule à gérer tout cela : il y a toujours deux régisseurs pendant les représentations, côté jardin et côté cour. Ce sont eux qui donnent les tops lumière ou son, qui font entrer ou sortir les artistes de scène en suivant à la lettre les indications notées sur la partition. Le maître-mot est la communication car tout le monde doit tout savoir pour que le spectacle soit une réussite. Quand je lui demande ce qui lui plaît dans son métier, Flavia pointe l’aspect technique mais également la dimension relationnelle. Les équipes changent souvent, aussi le régisseur doit-il pouvoir s’adapter aux différents caractères comme aux moments de stress, tout en sachant garder un juste milieu entre fermeté et réconfort. Il doit savoir être réactif face aux imprévus, aussi je suppose que c’est elle qui a dû s’occuper, plus tard ce soir-là, du pantalon craqué de Marco Vratogna (Scarpia dans Tosca ).
Avant de partir, je demande à Flavia si une production l’aura marquée plus qu’une autre. Elle pense à Turandot et à son metteur en scène aux idées prolifiques. Le régisseur n’a pas vraiment son mot à dire, mais peut consulter les techniciens ou intervenir quand quelque chose semble compliqué à réaliser – même si rien ne semble impossible à ses yeux, pas même mettre une piscine sur la scène.
Je passe ensuite par la porte du fond de la pièce, celle qui donne directement sur les planches. De là, je vois le poste de travail de Flavia, un pupitre équipé d’un micro et d’écrans. Sur la droite se trouve le poste de commande des machines portant le décor quelques dizaines de mètres au-dessus de la scène. J’observe les décors de (très) près : c’est fascinant comme des blocs de frigolite bien taillés et peints avec grande expertise se transforment en statues ultra détaillées ou en colonnes de marbre. Un dernier coup d’œil sur la salle encore vide une heure avant la représentation, et je repars à travers les coulisses pour assister au spectacle, en prêtant un peu plus d’attention aux coiffures, aux maquillages et à tous les accessoires vus derrière le rideau, sortant de leur ombre pour briller sur scène.